On vous explique pourquoi la France et l’Algérie se prennent la tête depuis six mois
Paris et Alger sont-ils sur le point de rompre ? En tout cas, sur le divan de L’Opinion, le président algérien Abdelmadjid Tebboune regrette un « climat délétère » dimanche. C’est le moins que l’on puisse dire. Depuis six mois, les deux pays se tournent ostensiblement le dos et leur relation, historiquement houleuse, semble être dans l’impasse.
En juillet dernier, le gouvernement français a reconnu la souveraineté marocaine au Sahara occidental, provoquant l’ire de l’Algérie. Depuis, les crises se succèdent et s’empilent : les expulsions d’influenceurs algériens, l’emprisonnement de Boualem Sansal, les piques mémorielles… Tour d’horizon des sujets que Paris et Alger doivent urgemment évoquer en thérapie de couple.
Le Sahara occidental
C’est le cœur de l’ouragan. Fin juillet, la France a annoncé qu’elle soutenait le Maroc sur la question du Sahara occidental. Ce territoire au statut non défini par l’ONU est disputé : d’un côté, il est revendiqué par le Maroc, de l’autre par des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger. En prenant le parti de Rabat, Paris a froissé l’Algérie. « Je l’ai prévenu : « Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre » », relatait dimanche Abdelmadjid Tebboune. En vain, Emmanuel Macron a persisté et signé. En réponse, Alger a retiré son ambassadeur à Paris. Il n’est pas revenu depuis. En langage diplomatique, c’est comme si l’un des partenaires imposait un « break » à l’autre.
L’emprisonnement de Boualem Sansal
L’emprisonnement de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansalmi-novembre cristallise aussi les tensions. L’homme de 75 ans, malade, est poursuivi en vertu de l’article 87 bis du Code pénal, qui sanctionne « comme acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’Etat, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ». Selon Le Monde, Alger s’est émue des propos de l’auteur dans le média d’extrême droite Frontières. Il affirmait notamment que le territoire du Maroc avait été amputé sous la colonisation française au profit de l’Algérie, une position partagée par Rabat.
« C’est une affaire scabreuse visant à mobiliser contre l’Algérie », jure Abdelmadjid Tebboune qui estime que ce « n’est pas un problème algérien [mais] un problème pour ceux qui l’ont créé ». « D’autres cas de binationaux n’ont pas soulevé autant de solidarité. Et enfin, Sansal n’est français que depuis cinq mois », tranche le président algérien.
Les expulsions d’influenceurs algériens
Les autorités françaises ont expulsé tour à tour trois Algériens (« ZazouYoucef », « ImadTintin » et « Doualemn ») et une Franco-Algérienne. Ces influenceurs avaient tenu des propos chargés de haine envers la France, l’un d’entre eux a notamment appelé à « brûler vif, tuer et violer sur le sol français ». Ils ont été signalés par Chawki Benzehra, un activiste opposé au gouvernement algérien. Il a assuré que ces personnalités faisaient partie d’une campagne de déstabilisation venue de l’autre côté de la Méditerranée, ouvrant un nouveau front dans la guerre diplomatique qui oppose Paris et Alger.
Mi-janvier, l’influenceur « Doualemn », a été renvoyé par l’Algérie le jour même de son expulsion. Alger a assuré qu’il avait été « interdit de territoire ». Ce « retour à l’envoyeur » a fait blêmir de rage le gouvernement français qui a accusé son ancienne colonie de « chercher à l’humilier ». Bruno Retailleau « a voulu faire un coup politique en forçant son expulsion. Il vient d’être retoqué par la justice française qui n’a pas justifié l’urgence absolue de sa mesure d’expulsion », se défend Abdelmadjid Tebboune.
L’arme migratoire
Dimanche 19 janvier, Bruno Retailleau a estimé que l’accord de 1968 fixant les conditions d’entrée en France des Algériens devait être modifié. Paris considère que cet accord est trop favorable aux Algériens et qu’Alger ne délivre pas assez de laissez-passer consulaires. Des documents indispensables pour rapatrier de force des migrants en situation irrégulière.
Après la sortie d’un article dénonçant des « traitements dégradants et discriminatoires » subis par des ressortissants algériens en possession de visa dans les aéroports parisiens, l’Algérie a convoqué l’ambassadeur de France à Alger. Une nouvelle pièce dans la machine alors que Jean-Noël Barrot estimait début janvier que les visas faisaient partie des « leviers que nous pourrions activer ».
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Ce type de déclarations fait craindre une guerre des visas, comme en 2021. « Il y a peu d’entrées illégales, la plupart de mes compatriotes arrivent en France avec des visas pour étudier ou exercer comme médecins, avocats ou ingénieurs, sans que cela ne pose de problème aux autorités », rappelle le président algérien. Alors que Marine Le Pen a estimé qu’il fallait « faire avec l’Algérie ce que Trump a fait avec la Colombie », Abdelmadjid Tebboune a estimé que les membres du RN étaient des « analphabétises ». Et d’ajouter : « Moi je m’interroge sur la manière dont Madame Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir : veut-elle une nouvelle rafle du Vél’ d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? » Une chose est sûre, son accession au pouvoir marquerait une rupture avec Alger.