France

Féminicide : Le mari de Marlaine a avoué son meurtre 33 ans après mais ne sera peut-être pas jugé

Des aveux, mais peut-être pas de procès. Après avoir gardé le silence pendant près de trente-trois ans sur le meurtre de sa femme et mère de leurs deux enfants, Pascal Delaunay pourrait échapper à la justice. En cause : le délai de prescription de ce crime commis en octobre 1989 et passé, pendant trois décennies, sous les radars des autorités judiciaires. Dans son réquisitoire définitif rendu le 21 janvier, le procureur de la République de Caen s’est prononcé en faveur d’un non-lieu, estimant que les faits étaient prescrits, a appris 20 Minutes de sources concordantes, confirmant une information du Parisien. C’est désormais au juge d’instruction de dire s’il y a lieu ou non de renvoyer cet ancien bûcheron élagueur, aujourd’hui âgé de 65 ans, devant la cour d’assises.

Pour comprendre cette affaire, il faut remonter le temps jusqu’en octobre 1989. Il faut se souvenir d’une époque où le terme « féminicide » n’existait pas, où l’on subodorait régulièrement qu’une femme morte sous les coups de son mari l’avait probablement « un peu cherché » et où, d’une manière générale, les violences conjugales n’intéressaient pas grand monde. Si bien que lorsque Marlaine Marquis, une mère de famille de 23 ans, disparaît dans l’Orne, personne ne s’en inquiète vraiment. Son mari, Pascal Delaunay, assure qu’elle les a abandonnés, lui et leurs deux enfants, Valentin, alors âgé de 3 ans, et Victoria, six mois. Aux uns, il précise qu’elle est partie refaire sa vie dans le Sud de la France, aux autres en Espagne.

« Valentin et Victoria ont été abandonnés par leur mère »

Une version que leur entourage, mais également la justice, prend pour argent comptant. Certes, Marlaine Marquis avait un amant, un certain Mexico, rencontré à un bal de la région. Elle ne s’en cache pas, y compris auprès de son mari. Mais personne ne s’inquiète que cette jeune femme sociable et investie dans son rôle de mère disparaisse sans la moindre explication, ne passe pas le moindre appel. En novembre 1989, un rapport de l’aide sociale à l’enfance de l’Orne établit qu’elle a quitté le foyer et ne cherche pas à prendre contact avec ses enfants. Aucune investigation supplémentaire n’est menée et six mois plus tard, le tribunal pour enfant prend acte que « Valentin et Victoria ont été abandonnés par leur mère ».

Il faut attendre l’été 2021 – soit 32 ans après la disparition de Marlaine Marquis – pour que l’affaire prenne un tournant judiciaire. Devenus adultes, les enfants du couple commencent à douter de la version d’une fuite volontaire soutenue par leur père et décident d’écrire au procureur pour signaler la disparition de leur mère. « La démarche de ma cliente s’inscrit en premier lieu dans une volonté de comprendre ce qu’il s’est passé », insiste Me Géraldine Vallat, la conseil de Victoria. Les premières vérifications effectuées par les gendarmes montrent que depuis 1989, Marlaine Marquis n’a laissé aucune trace. Ni bancaire, ni administrative, ni numérique. L’affaire est prise au sérieux. Une information judiciaire est ouverte en avril 2022, et Pascal Delaunay est placé en garde à vue un mois plus tard.

Des aveux après 32 ans de silence

Après trois décennies passées sous le sceau du silence, l’homme finit par parler. Aux gendarmes qui l’interrogent puis au juge d’instruction, il raconte cette nuit d’octobre 1989 où, au cours d’une dispute à propos de la relation extraconjugale de Marlaine Marquis, il finit par l’étrangler avec le fil du téléphone. Il précise avoir déposé son corps dans une cavité naturelle, à quelques centaines de mètres de leur maison de La Chapelle-Souëf. Malgré plusieurs sessions de fouilles, le corps ne sera jamais retrouvé. Contactée, Me Yasmina Belmokhtar, l’une des avocates du mis en cause, n’a pas souhaité s’exprimer.

C’est désormais au juge d’instruction de se prononcer sur l’avenir de ce dossier. Au moment des faits, le délai de prescription des meurtres était de dix ans (contre vingt aujourd’hui). Les aveux de Pascal Delaunay n’y changent rien. Il existe toutefois un principe juridique – « l’infraction occulte » – qui permet de suspendre la prescription : lorsque la justice estime qu’un « obstacle insurmontable » a rendu impossible la révélation du crime. Mais selon le parquet, ce principe ne s’applique pas dans ce dossier : il s’appuie notamment sur un arrêt de la Cour de cassation selon lequel la dissimulation d’un cadavre ne suffit pas à caractériser l’obstacle insurmontable, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’un comportement criminel classique. Cette analyse sera-t-elle partagée par le magistrat instructeur ?

« Rien n’a changé »

Reste que malgré ces aveux, Victoria et son frère n’ont pas rompu les liens avec leur père. « Je sais que ça peut évidemment paraître bizarre car ce qui s’est passé est grave mais c’est mon papa […] On continue de se voir, rien n’a changé », a confié la jeune femme à nos confrères de Ouest France.

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Selon son avocate, l’annonce d’un possible non-lieu a été accueillie sans difficulté par sa cliente, préparée depuis le début de la procédure à cette éventualité. « Elle n’est pas à la recherche d’une sanction, il y avait avant tout un besoin de rechercher le corps pour offrir une sépulture à sa mère et sur ce point, même si cela n’a pas abouti, tout a été mis en œuvre », insiste Me Géraldine Vallat.