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5 ans du Brexit : De Bruxelles aux migrants, comment les fake news ont changé de cible outre-Manche ?

Sur les flancs d’un mythique bus londonien à deux étages, le slogan a été martelé pendant toute la campagne par les pro-Brexit : « Nous donnons chaque semaine 350 millions de livres à l’Europe. Donnons les plutôt à nos hôpitaux. » C’était en 2016, en pleine campagne pro-referendum, et les partisans du « Leave » s’en donnaient à cœur joie pour convaincre les citoyens de quitter l’UE.

Ce chiffre trompeur a depuis été fact-checké à maintes reprises, mais il reste symbolique d’une campagne rongée par les fake news. En ce 31 janvier 2025, voici pile cinq ans que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne. Et si nous sommes aujourd’hui habitués à suivre des campagnes où les réseaux sociaux sont remplis de fausses informations, en 2016, c’était presque une nouveauté. Nous étions quelques mois avant la victoire surprise de Donald Trump dans la course à la Maison-Blanche et la démocratisation du terme « fake news ».

« Un tissu de mensonges assumé »

« La campagne pro-Brexit était un tissu de mensonges assumé par les politiques, qui a fait basculer le vote en leur faveur », assure Laëtitia Langlois, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’Université d’Angers. Une bascule qui s’est jouée d’un souffle puisque le 23 juin 2016, le camp du « Leave » l’avait emporté avec 51,89 % des voix.

Les mensonges de l’époque, selon la docteure, se concentraient sur deux axes précis : le contrôle des frontières et les fonds alloués par le Royaume à l’Union Européenne. « En disant : « L’argent que l’on donne à l’Europe, on va vous le redonner à vous et au système de santé nationale », le choix était vite fait pour les Britanniques ! ». Mais c’était notamment faire fi des aides accordées par Bruxelles au Royaume-Uni, ou encore des avantages liés à l’accès au marché commun.

Après la victoire, la déception

Parce que ces promesses étaient basées sur des approximations, il n’aura pas fallu longtemps pour qu’elles volent en éclats. Seulement deux jours après la victoire du « Leave », Nigel Farage, un des piliers de la campagne pro-Brexit, était à l’époque l’invité de Good Morning Britain, la matinale incontournable. Interrogé sur la promesse de reverser les 350 millions de livres donnés à l’UE aux hôpitaux britanniques, il rétropédalait direct : « Je ne peux pas le garantir. C’est une erreur d’avoir fait ce genre de promesses. »

Une « trahison » pour celles et ceux qui y ont cru qui s’est poursuivit d’année en année. « Huit ans plus tard, que reste-t-il de ce qui leur avait été promis ?, s’interroge Laëtitia Langlois. Le système de santé est dans un état catastrophique ». Preuve en est, les déclarations du Premier ministre Keir Starmer à l’automne. Après la publication d’un rapport accablant sur le NHS, il a promis une « intervention chirurgicale majeure » pour le système. Dans le même temps, « les entrées illégales sur le territoire n’ont pas baissé », poursuit Laëtitia Langlois, notamment en Manche. « Mais surtout, les conditions de vie des Britanniques se sont dégradées. »

Sarah Pickard, professeure à la Sorbonne et autrice de Civilisation britannique (Pocket, 2017), confirme cet état des lieux : « La société est divisée, l’économie est à la peine, les échanges culturels et universitaires sont réduits, moins de touristes, moins d’investissement… »

« Bregret » and « Bresignation »

L’heure est donc au « Bregret », contraction de « Brexit » et « regret » : selon un sondage YouGov réalisé cette semaine, plus de la moitié des Britanniques (55 %) sont favorables à un retour dans l’UE. « Ils se sentent seuls, poursuit Laëtitia Langlois, dans un monde de plus en plus dangereux, entre les Etats-Unis de Trump qui se moque de la relation « privilégiée » qu’ils sont censés avoir, et la Chine ou la Russie. » Certains parlent même de « Bresignation » : le mal est fait, il faut passer à autre chose.

Mais alors, vers qui se tourner ? Et surtout qui accuser ? « Cela faisait quarante ans que l’on expliquait aux Britanniques que la source de tous leurs problèmes était l’Europe, explique Laëtitia Langlois. Finalement, c’est plus compliqué que ça. »

Le « migrant », nouveau bouc émissaire

Le bouc émissaire européen a été remplacé par la figure du « migrant », responsable de tous les maux des Britanniques, comme dans d’autres pays. On lui accole fausses informations, stéréotypes et discrimination. « Ce qui est resté du Brexit, c’est une radicalité dans les propos sur l’immigration, où la droite et l’extrême droite se rejoignent. Tous les partis sont obligés d’en parler, et on ne parle plus que de ça. »

Une obsession de l’immigration couplée à la diffusion de fake news qui crée de profondes divisions dans la société. C’était notamment le cas lors des émeutes d’août dernier, déclenchées par la mort de trois jeunes filles tuées au couteau à SouthPort. Le meurtrier avait d’abord été présenté comme un demandeur d’asile de confession musulmane

Cette fausse information, répandue par de nombreux comptes d’extrême droite, avait déclenché des émeutes d’une rare violence. Puis les autorités avaient révélé l’identité du suspect, âgé de 17 ans, né à Cardiff de parents rwandais et issu d’une famille chrétienne. Mais ça n’avait pas calmé les esprits.

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L’immigration, c’est justement le thème préféré de Reform UK. Au dernier pointage, en décembre 2024, le parti d’extrême droite était en très bonne place dans les sondages. A sa tête, Nigel Farage, l’ancien fer de lance… du Brexit.