Inondations dans l’Ouest : « Ça rime avec inondation »… Encerclée par les eaux, Redon traîne sa vilaine réputation
C’est une petite ville de moins de 10.000 habitants située au carrefour de l’Ille-et-Vilaine, du Morbihan et de la Loire-Atlantique, trois départements en alerte rouge. Et depuis quelques jours, elle fait la une des médias français. On la dit « coupée du monde » ou encore « noyée ». « C’est un peu comme un petit confinement. Beaucoup de gens travaillent chez eux ou sont à l’arrêt. Des établissements scolaires sont fermés parce que les enseignants ou les enfants ne peuvent pas venir », témoigne Thomas, qui habite sur les hauteurs de Redon. Confrontée à une crue d’ampleur, cette petite ville bretonne scrute chaque jour le pluviomètre et le niveau de la Vilaine. Inondée depuis mercredi, elle a vu plusieurs centaines d’habitants être évacués face au danger. Les anciens y sont habitués. Les nouveaux arrivants un peu moins.
Au fond de son marais, Redon tente pourtant de faire le dos rond pour braver une menace aussi lente que sournoise : la montée des eaux. Douché par des pluies diluviennes en janvier, c’est l’ensemble du bassin-versant de la Vilaine qui déborde, causant d’importants dégâts à chaque goulet d’étranglement comme à Rennes, à Guichen ou encore à Guipry-Messac. Quand les eaux marron ont fini de noyer ces secteurs, elles continuent leur chemin avant de se marier avec les eaux de l’Oust. Et devinez où les deux cours d’eau célèbrent leurs noces ? A Redon, évidemment ! « C’est la topographie des lieux qui fait que c’est une zone vulnérable car on est à la confluence de la Vilaine et de l’Oust. Redon est située dans une zone de marais très plate où il n’y a pas de pente hydraulique pour évacuer les débits », explique Aldo Penasso, du pôle eau potable et hydraulique à Eaux et Vilaine.
L’ingénieur de l’établissement public territorial connaît parfaitement le secteur actuellement menacé par les crues. Comme la plupart des habitants, il sait que la petite ville est depuis toujours à la merci de la montée des eaux. « Redon, ça rime avec inondation. Tout le monde le sait que cette ville prend l’eau ». Christian a passé toute sa jeunesse à Redon. Alors quand il a voulu acheter une maison sur les bords du fleuve un peu plus au nord, il n’a pas hésité. « J’ai emménagé sur les hauteurs. Au moins, tu es tranquille. Quand je vois ce qu’il se passe en bas, je me dis que ça n’aurait jamais dû être construit ».
Le barrage d’Arzal, outil efficace
Et c’est pourtant bien parce que ce secteur était situé à la confluence des deux cours d’eau que des religieux ont décidé de s’y installer un peu avant l’an 1000. A cette époque, la présence des cours d’eau était capitale pour faire prospérer le commerce. Un atout qui valait largement les désagréments des inondations régulières. « Il y avait régulièrement des inondations lors des grandes marées parce que l’eau remontait jusqu’à Redon. C’est pour ça qu’on a construit le barrage d’Arzal (il a été mis en service en 1970). Il a largement amélioré la situation, mais il ne résout pas tout ».
Un millénaire après l’arrivée des moines bénédictins, celle qui est devenue sous-préfecture d’Ille-et-Vilaine traîne toujours cette même réputation : celle d’une ville régulièrement noyée quand la pluie se met à tomber. Et c’est le cas en janvier, où plus de 200 mm de flotte ont été enregistrés. Le record de crue établi en 1936 affichait 5,46 mètres. Ce jeudi, la cote de 5,20 mètres allait être dépassée, et le niveau continuait doucement de monter avec un pic de crue attendu ce week-end. Mais déjà, l’eau a largement débordé, s’infiltrant dans des logements, des commerces et des entreprises noyées, emportant les voitures de ceux qui ne les avaient pas enlevées. « Je pense qu’on aurait pu éviter certains dégâts si les crues avaient été annoncées un peu plus tôt. Dès dimanche, on savait que ça allait déborder », explique Thomas Le Campion.
Notre dossier sur les inondations
Ce spécialiste de la faune locale est un fin connaisseur du territoire redonnais. Lorsqu’il a vu que les rues de Rennes étaient inondées le week-end dernier, il a vite compris que Redon allait bientôt être arrosée. « C’était évident. Redon concentre un tiers des eaux qui irriguent la Bretagne. On est entourés de marais. Donc quand la nature reprend ses droits, on ne peut pas faire grand-chose », regrette le spécialiste de l’environnement.
Lassé d’être noyé, le territoire a pourtant multiplié les chantiers pour tenter de se protéger. A Saint-Nicolas-de-Redon, des digues ont été érigées et peuvent être activées à chaque période de crue. « Ces systèmes d’endiguement sont prévus pour aller jusqu’à 5,20 mètres. Si ça passe par-dessus, l’eau va d’abord dans des déversoirs, afin d’éviter de ruiner tout l’ouvrage quand l’eau s’engouffre. La digue, elle, elle est conçue pour aller jusqu’à 5,40 mètres », détaille Aldo Penasso. Suffira-t-elle à protéger les habitations ? Pas certain. « Le coût des aménagements est très élevé mais l’efficacité n’est pas toujours garantie. On aurait pu aller plus haut mais ça aurait coûté énormément d’argent », poursuit l’ingénieur. Dans le cadre d’une opération baptisée « A l’abri », les particuliers ont aussi été invités à se protéger, afin de limiter les dégâts.
« On fait face à une bétonisation des sols »
Au-delà du coût, ces solutions de protection posent en plus une question d’utilité. Faut-il ériger des murailles partout si elles ne servent qu’une fois tous les vingt ou trente ans ? « Alors oui, on a une pluviométrie qui est exceptionnelle mais on n’est pas les seuls. Pour moi, le problème, c’est aussi qu’on n’a plus rien pour retenir l’eau. On fait face à une bétonisation des sols. On n’a plus de haies, plus de zones humides. L’agriculture intensive transforme nos champs. Dans la vallée de la Seiche ou du Semnon, ça devient la Beauce. L’eau ruisselle et on connaît le résultat », regrette Thomas Le Campion. En attendant de trouver la solution, Redon regarde l’eau et le ciel, croisant les doigts pour une amélioration.