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Tennis de table : Comment vont faire les frères Lebrun pour éviter le burn-out avec le calendrier de fou qui les attend ?

Petit quiz rapide pour vous, devant votre écran : à votre avis, combien de tournois a déjà joués Félix Lebrun, 18 ans, en trois saisons pleines sur le circuit seniors ? 45, ce qui ferait déjà 15 par an ? Oui mais non, c’est bien en deçà de la réalité. Le petit génie du tennis de table français a participé à 63 compétitions depuis son arrivée chez les grands, pour 344 matchs disputés. C’est déjà plus que son frère Alexis (61 tournois à 21 ans) ou que le numéro 2 mondial actuel, le Chinois Lin Shidong, qui cumule 232 rencontres en 44 compétitions à 19 ans.

La défection de trois emblèmes du ping mondial

Pardon pour la litanie de chiffres, mais elle n’est pas là uniquement pour le bon plaisir de Bertrand Renard. Elle sert à illustrer le rythme infernal auquel sont soumis les meilleurs pongistes du monde, à l’origine d’un tremblement de terre dans le milieu avec la décision des Chinois Fan Zhendong, Ma Long et Chen Meng, tous trois champions olympiques l’été dernier, de quitter le circuit World Table Tennis (WTT) en ce début d’année. En cause, le règlement de la WTT qui prévoit de fortes amendes pour les joueurs qui ne se présenteraient pas aux principaux tournois du circuit, tout au long de l’année et partout sur la planète.

Inadmissible pour les trois athlètes, qui s’estiment empêchés de gérer leur calendrier et l’état de fatigue physique et mentale de leur corps comme ils l’entendent. Il s’agit en tout cas de la version officielle, car sous le manteau, certains observateurs devinent que ces trois emblèmes, respectivement âgés de 28, 36 et 31 ans, allaient de toute façon être évincés peu à peu par leur Fédération pour faire de la place aux jeunes, qui poussent toujours très vite les aînés dehors au pays roi de ce sport.

Manque de dialogue

Quelle que soit la vérité, insondable en Chine où le ping est une affaire d’État, la défection de ces têtes d’affiche met en lumière un réel malaise dans le fonctionnement actuel du tennis de table. Il n’y a qu’à voir la réponse du numéro 3 français Simon Gauzy au communiqué de la WTT, rappelant que ces sanctions n’avaient rien de nouveau et visaient à assurer la qualité et l’équité du circuit, pour le mesurer. « Nous perdons des icônes de notre sport à cause de ces règles. Vous ne pouvez pas ignorer le fait que cela n’aide pas les joueurs, avait écrit fin décembre sur X le médaillé de bronze par équipe lors des JO de Paris. Il est temps pour un vrai changement. »

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En attendant le grand soir, si jamais il arrive un jour, chacun s’organise comme il peut. C’est là qu’on en revient à nos Lebrun. Après une année 2024 complètement folle à tout point de vue, les frangins entament en ce mois de janvier un nouveau cycle de quatre ans, où ils savent qu’ils devront jongler avec un calendrier démentiel. « Il n’y a pas de secret, les différentes fédérations internationales, européennes, nationales, ne communiquent pas, ne s’entendent pas, donc ça donne des calendriers où plusieurs circuits se chevauchent, observe Nathanaël Molin, l’entraîneur des deux frères. Tout ça manque d’harmonie, et c’est à nous, staff et joueurs, de composer avec ça. »

Plus de blocs d’entraînement

Cela signifie faire des choix. Ce mois-ci par exemple, Félix et Alexis ne se sont pas rendus à Doha ni à Oman pour les premiers Contenders de l’année. Ils vont commencer leur saison en fin de semaine, à l’occasion du Grand Smash de Singapour, premier des quatre tournois majeurs du calendrier – l’équivalent des Grands Chelems dans le tennis. Tant pis pour la perte de points au classement mondial (Félix est descendu 5e cette semaine), il convient de voir plus loin.

« Pour nous, l’objectif de cette année, c’est de reprendre le développement des garçons, donc de mettre en place plusieurs périodes d’entraînement de 10-12 jours pour arriver dans les prochaines années avec un bagage bien plus important », explique Molin. C’est ce qui a été fait en janvier, avec une première séquence de 10 jours au Creps de Saint-Raphaël (Var), suivie d’une petite semaine de stage avec l’équipe nationale de Singapour, où ils sont arrivés tôt pour s’acclimater tranquillement.

Attention, le calendrier des frangins reste tout de même bien rempli. Rien que dans les cinq mois à venir, ils enchaîneront après Singapour le Top 16 européen à Montreux (Suisse) en février, un WTT Champions (la catégorie en dessous des Grands Smashs) en Chine et les championnats de France en mars, un autre WTT Champions en Corée du Sud et une Coupe du monde à Macao en avril, avant les championnats du monde qui auront lieu en mai à Doha. Le tout entrecoupé de rencontres de championnat et de Coupe d’Europe avec leur club de Nîmes-Montpellier. Sachant aussi qu’ils comptent bien, en plus du simple, défendre leur position de numéros 1 mondiaux en double, acquise fin 2024.

Ça, c’est pour la première partie de la saison. Les festivités reprendront très vite en juillet (pour ne parler que des tournois principaux), jusqu’aux WTT Finals en décembre. Le problème principal dans tout ça ? Pas forcément le nombre de compétitions, mais « la cohérence du calendrier », pointe Nathanaël Molin, qui prend en exemple ce qui l’attend avec ses poulains l’été prochain. « Début juillet on est à Las Vegas, dix jours après à Rio de Janeiro, une semaine après au Japon avant de filer en Suède, décrit-il. On fait trois continents en trois semaines, avec trois gros décalages horaires. Ça me paraît complètement fou, pour la santé des athlètes et avec en plus les enjeux d’aujourd’hui sur le plan écologique. »

« L’important, c’est comment on vit les choses »

Et les principaux intéressés, dans tout ça ? Comment continuer à prendre du plaisir à jouer, à garder sa motivation intacte et à éviter la surchauffe générale ? « Si on veut pouvoir durer longtemps, il faut apprendre à couper quand il faut », répondait Alexis dans une interview croisée avec son frère dans L’Equipe, fin décembre. « Pour être tout le temps au top, il faut aussi se mettre en difficulté, c’est un juste milieu à trouver », nuançait de son côté Félix.

Pour le moment, leur entraîneur ne s’inquiète pas outre mesure. Il sait à quoi carburent ses deux pépites, qu’il connaît depuis leur plus jeune âge. « L’important, c’est comment on vit les choses que l’on met en place, professe-t-il. On peut avoir un programme d’enfer et s’amuser, avoir un programme plus léger et s’emmerder. Il y a de multiples façons de réussir. Nous on a un style, une identité, on va garder tout ça et chercher à le creuser, encore. »

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Quant aux grandes questions d’organisation, il laisse ça à ceux dont c’est censé être le métier. « Nous on est au cœur de tout ça, ça pose des questions mais c’est notre passion, notre métier, et on ne va pas non plus ne pas les vivre à fond », observe le technicien. La France peut toujours faire entendre sa voix, mais c’est à la Fédération internationale (ITTF), qui a confié la gestion d’un circuit privé à la WTT, de prendre le sujet à bras-le-corps. Signaux positifs, elle a récemment créé une commission dans ce but, avec un représentant des athlètes, et annoncé la mise en place d’un forum à Singapour pour recueillir les avis des pongistes et de leur staff. Seront-ils écoutés ?