L’imposture Némésis et son « féminisme » identitaire (salué par Bruno Retailleau)
«Bravo pour votre combat. Vous savez que j’en suis très proche. » Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau s’est attiré les foudres d’une partie de la classe politique après avoir salué l’association Némésis, un groupe qui se proclame féministe, mais se démarque surtout par ses violentes diatribes contre les étrangers et son tri très sélectif sur les affaires de viol.
Si Bruno Retailleau a ensuite rétropédalé, affirmant ne se sentir « pas du tout proche de cette association en tant que telle » et avoir vu après coup qu’il s’agissait « d’une association qui avait des positions très radicales », il n’empêche que son soutien momentané a mis en lumière un phénomène longtemps considéré comme un groupuscule d’extrême droite parmi d’autres. Mais si Némésis a le vent en poupe, c’est parce qu’il joue sur la montée en puissance du féminisme et des demandes pour plus de droits des femmes pour faire passer ses idées nationalistes, qui n’ont en réalité que très peu de choses à voir avec le féminisme.
Proche du Rassemblement national
Le collectif, qui revendique 250 membres actives selon sa fondatrice, contactée par 20 Minutes, a été créé en 2019. Il s’est illustré la même année en infiltrant une manifestation du groupe féministe NousToutes, lors de la journée contre les violences sexistes et sexuelles. Il s’est ensuite fait unespécialité du saccage de manifestations progressistes et d’évènements politiques avec des élus et élues de gauche, comme la manifestation contre l’extrême droite organisée juste après la percée du Rassemblement national aux élections européennes le 9 juin 2024.
La présidente du mouvement, Alice Cordier, une ancienne sympathisante de l’Action française, est depuis régulièrement invitée des médias conservateurs de Vincent Bolloré, notamment CNews, qui lui a permis de gonfler son nombre d’abonnés sur X. Entre avril 2022 et aujourd’hui, elle est passée de 12.000 « followers » à plus de 85.000. Némésis a connu sa petite heure de gloire après avoir réuni entre 300 et 500 personnes place Denfert-Rochereau pour rendre hommage à Philippine Le Noir de Carlan, jeune femme de 19 ans dont le corps avait été retrouvé dans le bois de Boulogne. Le principal suspect était en situation irrégulière sur le territoire français et sous obligation de quitter le territoire (OQTF).
Politiquement, le groupuscule est proche du Rassemblement national, pour lequel il a appelé à voter lors des dernières élections européennes. Alice Cordier aurait été un temps proche de la bande néonazie des Zouaves Paris, selon Libération. Ce que l’intéressée réfute, affirmant avoir accepté d’être prise en photo par un homme sans savoir qui il était.
Un focus sur les viols de rue
Féministes, les Némésis ? Un examen de leurs différents comptes et notamment de leur compte X indique une ligne très sélective sur les affaires de viol, qui privilégient essentiellement les crimes commis dans la rue, par des étrangers. Il s’agit tantôt d’un Algérien sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), d’un migrant condamné pour avoir volontairement transmis le Sida à ses victimes, d’une SDF violée par des demandeurs d’asile, d’un Malien, d’un Pakistanais sous « OQTF », qui semble leur acronyme favori. Mais aussi d’un viol par un voisin ou par un routier polonais, d’un viol dans la cour d’un immeuble, d’une joggeuse attaquée à la gorge au couteau. « Nous avons décidé de nous centrer uniquement sur les faits de violences physiques pour plus d’efficacité, en nous spécialisant sur ce qu’il se passe dans l’espace public notamment », nous répond Alice Cordier.
Or le mouvement féministe s’est justement construit en faux par rapport à cette idée que le violeur type serait celui qui surgit au coin de la rue. Les enquêtes, comme Virage par exemple de l’Ined, l’ont toutes montré : c’est la famille ou les proches qui sont les premiers suspects, quand il s’agit de viols. « C’est féminin mais pas féministe. Elles n’abordent pas les sujets de liberté et d’égalité. Et elles ne disent pas qu’il y a plus de féminicides par habitant dans les campagnes françaises. Renvoyer les étrangers ne résoudrait pas le problème. Toutes les femmes en France sont victimes de sexisme. Il ne faut pas opposer un groupe contre un autre », commente Anne-cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.
Selon un rapport du Sénat, alors que les bassins de vie ruraux accueillent environ un tiers de la population, environ la moitié des féminicides y sont commis. « Je ne vois pas en quoi on ne peut pas dénoncer les deux, rétorque Alice Cordier. Nous ne sommes pas une association avec 50 salariées et des subventions, nous dénonçons à notre échelle ce que nous pouvons et ce que nous connaissons le mieux également. »
OPA hostile sur les idées du mouvement féministe
Même si les Némésis n’ont que l’apparence du féminisme, la montée de collectifs de ce type est aussi le signe que désormais, il est difficile pour toute mouvance, fût-elle d’extrême droite, de se passer des questions féministes et d’ignorer les demandes de nombreuses femmes. « Cela montre que nos idées sont très fortes », estime Anne-Cécile Mailfert. « Elles participent à la dédiabolisation de l’extrême droite », s’inquiète Sarah Durocher, coprésidente du Planning familial, qui regrette cette « instrumentalisation » du féminisme et de la lutte contre les violences.
Depuis une dizaine d’années, plusieurs groupuscules proches de la droite identitaire ont essayé de récupérer ces thématiques, comme les Caryatides ou les Antigones, opposées au Mariage pour tous. Le parti de Marine Le Pen lui-même a misé sur cette carte dans la foulée des événements de Cologne, en 2015, une vague d’agressions sexuelles collectives, de vols et de braquages, commise pour partie, selon des témoins, par des migrants venus d’Afrique du Nord, mais pour lesquels au final seulement quatre Irakiens auront été arrêtés. Marine Le Pen avait alors fait paraître une tribune sur le site du journal L’Opinion en se présentant comme une « femme française libre » et en allant jusqu’à citer Simone de Beauvoir. Un modèle d’OPA hostile* sur les noms et les idées du mouvement féministe qui avait pour but de récupérer le vote des femmes. Et qui a fait florès depuis.
* Modèle raconté dans un livre coécrit avec l’historienne Mathilde Larrère, « Des intrus en politique », Editions Du Détour, janvier 2018.