« Je pense que les pédagogies actives ne préparent pas nécessairement à la vie réelle »
Certains parents ayant opté pour une école à pédagogie active pour leur enfant changent d’avis en cours de cursus ou le réintègrent dans le traditionnel à partir de la première secondaire. Que penser de ces méthodes pédagogiques qui entendent rendre l’enfant acteur de ses apprentissages ? « La Libre » a interrogé trois personnes de terrain, parmi lesquelles Jean-François Nandrin, professeur au Collège Saint-Michel, ancien directeur de l’École secondaire du Sacré-Cœur de Lindthout.
- Publié le 27-01-2025 à 10h27
- Mis à jour le 27-01-2025 à 10h33

Des parents inquiets qui regrettent d’avoir inscrit leur enfant dans une école à pédagogie active et qui souhaitent « rectifier le tir » (sic) en cours de cursus… Jean-François Nandrin en a rencontré plus d’un au cours de sa carrière. Professeur, puis directeur pendant dix ans de l’École secondaire du Sacré-Cœur de Lindthout, il enseigne aujourd’hui au Collège Saint-Michel à Bruxelles (Etterbeek).
Vous enseignez fréquemment à des jeunes qui sortent d’une école à pédagogie active. Ceux-ci éprouvent-ils des difficultés ou, au contraire, des facilités lorsqu’ils rejoignent l’enseignement traditionnel ?
Généralement, lorsque le retour de l’actif au traditionnel se fait au moment du passage de la sixième primaire à la première secondaire, cela se passe bien, on amortit le choc. À douze ans, l’enfant est encore souple. On le « reformate« , bien que je n’aime pas ce mot, on le remet dans un mouvement qui, en première secondaire, n’est pas terrifiant. On lui explique comment structurer sa farde, qu’on travaille très peu par projet contrairement à ce qu’il a connu jusque-là, qu’il va falloir rendre ses travaux à temps comme tous les autres élèves, que même s’il n’a pas envie d’apprendre telle matière à tel moment, il va devoir le faire… et cela passe bien à cet âge-là.
En revanche, c’est bien plus délicat lorsque le retour de l’actif au traditionnel se fait au cours des secondaires. Là, ça passe ou ça casse. Cela passe lorsque l’élève est quelqu’un qui s’intéresse, lorsqu’il est lui-même porteur du projet de passer à un autre enseignement sur le mode : « On s’est bien amusé mais à présent, on veut structurer, on veut apprendre et on veut rentrer plus tard à l’université. » Ceux-là, demandeurs, rentrent sans difficulté dans le système. Cela casse, par contre, lorsque l’élève ne parvient pas à se faire aux rythmes et échéances de l’école « classique ». Si on lui dit que son devoir est à remettre pour tel jour à telle heure, cela doit être fait. Et dans une classe de vingt-cinq élèves, il n’est pas question que chacun des vingt-cinq remette son travail quand bon lui semble. Pareil pour l’heure d’arrivée le matin, elle doit être respectée.
Vous évoquez là des éléments de forme qui, certes, ont leur importance. Mais sur le fond, les jeunes issus d’écoles à pédagogie active sont-ils en avance ou en retard dans certaines matières ?
Ils ne sont pas toujours préparés, cela dépend des élèves. Certains n’ont pas toutes les bases. D’autres sont très bien formés dans certaines matières comme les sciences, mais pas du tout dans d’autres comme les langues ou la littérature, car on leur a permis de piocher dans leur précédente école. Ce n’est pas le cas chez nous : il faut réussir dans toutes les matières, tout est sur le même pied. C’est d’ailleurs une particularité du système belge, tous les systèmes scolaires ne fonctionnent pas de cette manière. S’ils font des efforts, cela passe. Il y a parfois des accrocs, quelques petits échecs au début, puis cela se met bien en place dans la majorité des cas.
La balance entre l’épanouissement de l’enfant et la volonté de le voir acquérir de solides compétences est parfois difficile à trouver pour les parents, non ?
Oui, bien entendu. Et je suis le premier à reconnaître que notre système, à Saint-Michel, au Sacré-Cœur de Lindthout, est très contraignant. Mais il est aussi très efficace. Je suis pour l’épanouissement individuel. Mais dans la vie, nous avons tout intérêt à apprendre l’épanouissement là où nous sommes. La réalité du monde est là, avec ses obligations. En cela, je trouve que les pédagogies actives ne préparent pas nécessairement nos jeunes à la vie réelle.
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