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Guerre en Ukraine : Grand banditisme, terrorisme… Où iront les armes des Russes tués sur le champ de bataille ?

Anticiper la fin du conflit et limiter les risques pour le futur. Voilà pourquoi l’Ukraine a mené jeudi 1.000 perquisitions dans le cadre d’une enquête sur un trafic illicite d’armes et de munitions. Avec la guerre, la présence des armes dans un pays déjà rompu aux bruits des balles a considérablement augmenté, entre le matériel fourni par les alliés et celui récupéré sur l’ennemi russe tombé au combat.

Un arsenal qui pourrait tomber entre de mauvaises mains et alimenter des filières de crime organisé en Ukraine et à l’extérieur. D’autant que les structures de circulation illégale d’armes existent déjà depuis la guerre froide et l’époque de la « mafia d’Odessa qui faisait sortir des cargaisons de différentes armes et munitions vers le continent africain », explique Jean-Charles Antoine, docteur en géopolitique et expert sur le trafic d’armes.

Certains citoyens, certains militaires, profitent du matériel laissé sur les dépouilles des soldats russes, coréens ou même ukrainiens pour récolter un attirail qui leur sert d’abord à se défendre en cas d’agression. Et qui pourra ensuite se retrouver sur le marché noir.

Le risque de la paix

Tant que les combats sont en cours, la circulation hors du pays « est très marginale même si quelques phénomènes de traçabilité ont été retrouvés à droite à gauche hors de l’Ukraine », ajoute Yannick Quéau, directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip). C’est une fois le calme revenu, que le risque augmente considérablement.

« Après le conflit naît la tentation pour certaines personnes de garder ces armes pour tenter de les introduire dans une forme de marché noir », poussées par l’appât du gain, ajoute-t-il, pointant le risque « de réapprovisionner des groupes de crime organisé ». C’est un refrain qui n’est pas inconnu en Europe. Déjà à la fin de la guerre en ex-Yougoslavie, « quand la situation était pacifiée plus durablement, on a vu les filières et les stocks abreuver tout le crime organisé européen et international », donc aujourd’hui encore, « c’est une préoccupation commune à beaucoup d’acteurs », développe Yannick Quéau.

Ces armes de guerre, des armes légères comme des Kalachnikovs ou des fusils d’assaut, ne sont pas que russes. Comme l’amour, la guerre est aveugle, comme l’argent, elle n’a pas d’odeur. Quand il y a des morts côté ukrainiens, le même schéma se met en place côté russe. Les armes s’interchangent, changent de camp, et se retrouvent dans celui qui est encore vivant.

Du trafiquant européen au terroriste du Sahel

Une fois entrées sur le marché illégal, ces armes vont d’abord déferler au sein des populations des pays les plus proches de l’Ukraine qui voudront se protéger d’une éventuelle attaque future comme la Moldavie, la Transnistrie, la Hongrie ou le sud de la Pologne. Puis, certaines « arriveront entre les mains de groupes criminels européens, occidentaux, comme en Italie ou en France », énumère Jean-Charles Antoine. « Les trafiquants de stupéfiants vont vouloir récupérer ces armes plus modernes avec le risque de provoquer une surenchère dans les types d’équipements en Europe ou ailleurs », prévient-il.

Ce n’est pas en France « qu’est le risque le plus élevé, même s’il est envisageable », tempère Yannick Quéau. Selon lui, il faut davantage s’attendre à voir réapparaître ces moyens calibres dans les filières criminelles polonaises, d’Europe de l’Est, des Balkans ou du Caucase. Il n’est pas exclu de retrouver plus tard une arme fournie par la France à l’Ukraine dans les bras d’un criminel au Moyen-Orient, « ou d’un terroriste au Sahel, partout où des cargaisons de bateaux ou d’avion peuvent aller », précise Yannick Quéau.

Limiter la vague des armes

C’est pourquoi l’Ukraine s’y prend dès maintenant, rassurant au passage ses soutiens occidentaux sur le sérieux qu’elle met en place pour éviter les répercussions futures. Et pour limiter la casse « il faut descendre les filières de la source jusqu’à l’endroit d’arrivée, conseille Jean-Charles Antoine. L’enjeu est d’avoir une connaissance précise des filières actuelles pour être capable de suivre le matériel quand il arrivera chez nous et éviter une importation trop massive ».

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

A l’Etat ukrainien de faire en sorte de récupérer le maximum d’armes à la fin de la guerre via une politique de désarmement par restitution, où les citoyens seront appelés à rendre leur matériel, éventuellement en échange d’une contrepartie financière.

Pour le reste, « il faut être sûr de ce qui a été acheminé, acquis, dans quelles conditions, retracer ce qu’on a pu récupérer, voir ce qui manque, signifier les alertes et faire la remontée d’informations pour voir quels types d’armes on a perdus et où pour éviter qu’elles ressurgissent ailleurs », poursuit Yannick Quéau. Cela passera par une action assez classique de contrôle des frontières par la police et les douanes. Tant que les combats continuent de mobiliser l’arsenal des deux côtés du front, il reste néanmoins difficile de mesurer le risque réel et son ampleur à l’avenir.