Elon Musk met une cible dans le dos de Wikipédia
Elon Musk a des lubies. Dans sa croisade contre le « wokisme », il a trouvé une nouvelle victime : l’encyclopédie en ligne Wikipédia. « Puisque la propagande des médias traditionnels est considérée comme une source « valide » par Wikipédia, elle devient simplement et naturellement une extension de la propagande des médias traditionnels ! », a-t-il tweeté mardi, quelques heures après avoir réalisé un salut nazi lors de la journée d’inauguration du président Donald Trump.
Les attaques contre Wikipédia s’inscrivent donc dans un prolongement des propos populistes des alliés du nouveau président américain. « Wikipédia fonctionne à partir de sources. Les théories du complot y sont dénoncées parce que les médias grand public sont anticomplotistes, décrit Lionel Barbe, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Nanterre. Ces attaques [de l’extrême droite] sont le prolongement de celles que l’on retrouve contre les médias mainstream. »
Elon Musk en a marre de « Wokepedia »
L’obsession n’est pas nouvelle. En décembre, Elon Musk avait déjà demandé « d’arrêter de donner à Wokepedia jusqu’à ce qu’elle restaure l’équilibre dans sa ligne éditoriale ». Un an auparavant, il proposait ironiquement de donner un milliard de dollars à la fondation Wikimedia, qui gère l’encyclopédie collaborative, si celle-ci acceptait de renommer le site « Dickipedia » (« Bitopédia » en anglais). Et quand l’encyclopédie n’est pas critiquée sur les réseaux sociaux, elle est instrumentalisée. En France, par exemple, les équipes d’Eric Zemmour ont entrepris d’importantes modifications en faveur du candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, comme le rapportait le livre du journaliste Vincent Bresson Au cœur du Z.
La rengaine dure depuis dix ans. Alexandre Hocquet, professeur à l’université de Lorraine qui a travaillé sur l’histoire de Wikipédia, situe ce genre d’attaque à l’émergence de la nouvelle extrême droite aux Etats-Unis en 2014. Et Elon Musk n’est pas le seul dans cette offensive contre Wikipédia. Dans la branche tech de l’extrême droite, les capital-risqueurs Chamath Palihapitiya ou Shaun Maguire ont aussi dénoncé les « mensonges » et les « biais » de l’encyclopédie en ligne. En France, une série d’articles dans plusieurs médias, du Point au Figaro, relève également des biais supposés dans le traitement de l’information.
Des éditeurs qui s’appuient sur des sources
Y a-t-il un fond de vérité dans ces critiques ? « Pour moi, le contenu est assez équilibré », tranche Jules*, contributeur Wikipédia depuis quatorze ans. Administrateur, il intervient beaucoup sur les thématiques liés au changement climatique, mais aussi sur la neutralité, l’observatoire des sources de l’encyclopédie ou le mois antipub. « On ne vise pas la « neutralité centre », mais on va restituer les sources pertinentes selon leur importance dans le champ du savoir, détaille-t-il. Sur le changement climatique par exemple, on ne va pas taire les climatosceptiques, mais recontextualiser leurs théories. En résumé, ce n’est pas « cinq minutes pour Hitler et cinq minutes pour les Juifs ». La désinformation est présentée comme telle, et ça déplaît. »
Quant à la communauté, « tout le monde est le bienvenu tant qu’il respecte les principes fondateurs de Wikipédia ». S’il est vrai qu’« historiquement, Wikipédia s’est faite dans un milieu de gauche, par des hackers, des informaticiens, des défenseurs des communs, et autour de valeur de collaboration », note Lionel Barbe, la communauté comprend aujourd’hui une diversité de profils.
Concrètement, les menaces d’Elon Musk et les appels au boycott ont peu de chances d’affecter Wikipédia. « L’encyclopédie ne coûte pas cher, elle utilise une technologie très frugale », relève Alexandre Hocquet. A la limite, « des personnalités d’extrême droite peuvent copier le contenu de Wikipédia et créer des encyclopédies alternatives ». Comme Conservapedia, lancée dès 2006, et qui commence par exemple son article « Réchauffement climatique » en qualifiant le phénomène de « théorie non prouvée ».
« Pressions et injures contre des contributeurs »
Par ailleurs, la fondation Wikimedia est non commerciale, rappelle de son côté Lionel Blanc, ce qui la protège d’un rachat ou autre acquisition hostile. Elle reçoit suffisamment de dons pour entretenir Wikipédia, et même soutenir des projets annexes pour améliorer, par exemple, la visibilité des personnalités féminines sur la plateforme. « C’est ça qu’Elon Musk aimerait bien assécher », alerte Lionel Blanc.
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La communauté, elle, a déjà mis en place quelques garde-fous. Un filtre automatique annule par exemple le retrait récurrent des termes « extrême gauche » ou « extrême droite ». Mais, par ailleurs, le travail de Wikipédia reste dépendant des sources. « Si l’écosystème de presse se dégrade, la qualité des sources de Wikipédia aussi, avertit Jules*. En outre, il peut y avoir des pressions ou des injures contre des contributeurs. » Les guerres d’édition, elles, ont encore de beaux jours devant elle.