France

Quand la « résilience » de Jérôme Kerviel impressionne des patrons

«Je ne regarde et je ne lis jamais ce qui se dit sur moi. C’est une manière de me protéger. » Jérôme Kerviel n’a pas maté le documentaire sorti fin 2024 sur la plateforme Max. Alors oui, il a accepté d’être interviewé pour défendre son point de vue dans l’affaire qui l’oppose toujours à la Société générale. Mais l’ancien trader de la banque française est formel : il n’a pas regardé les quatre épisodes de Kerviel: Un trader, 50 milliards consacrés à son incroyable histoire. Non pas qu’il la renie. Non, l’homme épinglé pour avoir fait perdre 4,9 milliards d’euros à son employeur assume tout ce qu’il a pu faire. « J’assume qui je suis. J’ai reconnu mes erreurs mais je ne veux pas assumer seul les dérives de tout un système ».

Ce mercredi, Jérôme Kerviel l’a répété à de maintes reprises devant les 150 invités du déjeuner du Rennes Bretagne Business Club auquel il était convié. Zéro frime : chemise noire, cheveux longs, visage marqué et regard lointain, un brin hagard. Pendant une petite heure, l’ancien trader est revenu avec humilité sur son parcours face à un parterre de dirigeants locaux particulièrement attentifs à ses paroles qui l’ont chaleureusement applaudi. Pas commun pour un homme condamné par la justice et un temps présenté comme le seul responsable d’un système qui perdait la tête.

Jérôme Kerviel (ici à droite) était l'invité du manager du Rennes Bretagne Business Club, face à lui Gérald Bertin, le 22 janvier 2025.
Jérôme Kerviel (ici à droite) était l’invité du manager du Rennes Bretagne Business Club, face à lui Gérald Bertin, le 22 janvier 2025.  - C. Allain/20 Minutes

C’était il y a dix-sept ans presque jour pour jour. Jérôme Kerviel passait en quelques minutes de l’anonymat le plus total à celui d’homme le plus recherché de France. « Les paparazzis me traquaient dans tout Paris. Ma photo valait 100.000 euros. Moi, j’étais pétrifié, je ne savais plus quoi faire. J’étais parti me cacher dans le garage d’un ami qui habitait en banlieue. » La veille, la médecine du travail l’avait appelé pour lui conseiller de « quitter Paris » et de « changer de numéro de téléphone ». Lui ne comprend pas. Jusqu’à ce qu’il découvre que la Société générale et son patron de l’époque Daniel Bouton viennent de l’afficher comme le seul et unique responsable d’une perte colossale de près de cinq milliards. Le visage du tout jeune trader français fait alors la une de la presse du monde entier. Mis en examen et placé en détention provisoire pendant quelques jours, Jérôme Kerviel devient le principal acteur d’une affaire qui porte son nom.

Traîné dans la boue comme personne, condamné en justice et passé par la prison, l’ancien trader est toujours debout. Et continue de raconter son histoire dans l’espoir de restaurer son honneur. « J’ai failli me suicider, je n’ai pas honte de le dire. C’est mon entourage qui m’a sauvé et qui m’a aidé à me relever », admet Jérôme Kerviel. Une rencontre avec le pape aussi, avec qui il a pu échanger quelques mots en 2014. « C’est la seule chose que je ne dévoile pas. Son message, je le garde pour moi. C’est une image mentale qui me sert quand ça va moins bien. » De Rome, le trader était revenu en marchant à Paris, sans vraiment savoir pourquoi.

C’est cette capacité à se relever qui a convaincu Gérald Bertin d’inviter Jérôme Kerviel à intervenir auprès des membres de son club. « C’est une histoire où l’on ne sait pas tout. Notre but, ce n’est pas de porter un jugement. Ce que l’on veut, c’est simplement déclencher une réflexion personnelle en écoutant un homme parler de ses échecs, des moments difficiles qu’il a traversés. C’est inspirant. Et ça permet aussi de relativiser », assure le manager du Rennes Bretagne Business Club. Habituée du club, Marie avait déjà eu l’occasion d’écouter Jérôme Kerviel il y a un an. « Je suis admirative de sa force de caractère. Il a su surmonter les difficultés. En tant que dirigeante d’entreprise, ça me parle. »

« Je l’ai trouvé très touchant, très authentique »

Également patron, Sébastien s’est « totalement retrouvé » dans le témoignage de l’ancien trader. « Il a servi de bouc émissaire. Mais il a su faire preuve d’une telle résilience. C’est admirable. » A ses côtés, Mathieu aussi a été charmé par le speech de l’ancien de la Société générale. « Je l’ai trouvé très touchant, très authentique, alors qu’il a dû sérieusement pâtir de cette histoire. A sa place, beaucoup seraient passés à l’acte. » N’y a-t-il pas une gêne à applaudir un homme condamné par la justice à trois ans de prison ? « J’ai longtemps travaillé dans la banque. Tout est tellement sécurisé, c’est impossible de faire ça sans que personne ne le sache », avance Marie.

Jérôme Kerviel, ici en 2013 au moment d'écrire au président de la République François Hollande.
Jérôme Kerviel, ici en 2013 au moment d’écrire au président de la République François Hollande.  - V. Wartner / 20 Minutes

C’est exactement ce que Jérôme Kerviel tente de faire entendre lorsqu’il évoque son parcours et son arrivée à la Société générale en 2000. « J’étais comme un gamin à Disneyland. Je n’avais pas du tout l’idée de devenir trader. Je n’avais pas les diplômes pour ça. On m’a donné un objectif à trois millions la première année. J’en ai fait cinq. Alors on m’a donné un objectif à cinq millions, puis douze », raconte-t-il avec simplicité. Il évoque aussi cette année 2007 où il décide de miser sur la crise des subprimes. « J’ai perdu jusqu’à deux milliards. Je ne dormais plus la nuit. Et puis, tout a changé. » En quelques semaines, les risques inconsidérés pris par le trader finissent par payer. Sur le dos d’une féroce crise immobilière et financière, Jérôme Kerviel dégage 1,5 milliard d’euros de profit pour son employeur qui se frotte les mains. « A moi seul, j’avais fait la moitié des chiffres des 1.500 traders du groupe », reconnaît-il, sourire en coin.

« Je le fais pour ma fille »

Quelques semaines plus tard, la bulle explose et « l’affaire Kerviel » démarre, broyant celui qui avait à peine 30 ans. « Tout à coup, tu te retrouves seul, plus aucun de tes collègues ne veut te parler. » Dix-sept ans après ce jour où tout a changé, Jérôme Kerviel porte encore les marques de cette histoire qui le poursuivra toute sa vie. Avec émotion, il explique aux dirigeants qui l’écoutent religieusement pourquoi il a tenu le coup. Et pourquoi il continue à se battre. « Je le fais pour ma fille de 6 ans, qui porte mon nom. Pour les collègues qui ont témoigné pour moi et qui ont été licenciés. Et pour cette policière de la brigade financière qui a enregistré les aveux de la procureure qui reconnaissait que l’affaire était truquée. Pour eux, je n’ai pas d’autre choix que de continuer le combat. Je leur dois. »

Notre dossier sur l’affaire Kerviel

Jérôme Kerviel « doit » aussi un million d’euros à la Société générale, montant des dommages et intérêts auxquels la cour d’appel l’a condamné en 2015. C’est déjà beaucoup, beaucoup, beaucoup moins que les 4,9 milliards décrétés en première instance. A en croire les organisateurs, ce n’est pas avec ses cachets comme intervenant qu’il va pouvoir la rembourser prochainement. On n’en connaîtra pas le montant.