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Fenerbahçe – OL : « Quand il parle, on l’écoute »… José Mourinho, chevalier blanc du football turc ou éternel Calimero ?

On peut ne pas aimer José Mourinho, mais saluons tout de même unanimement le panache. Alors qu’il aurait pu prendre tranquillement les dizaines de millions de dollars saoudiens et faire semblant d’être concerné par ce qu’il se passe sur le terrain, l’entraîneur portugais a choisi l’été dernier de débarquer dans le championnat turc avec ses bottes de GI et une mission : taper sans relâche sur ce qu’il appelle « le système », à savoir les multiples scandales de corruption et affaires de violences minant le football local depuis des années.

En prenant les rênes de Fenerbahçe, qui reçoit l’OL ce jeudi lors de la 7e journée de la Ligue Europa, le Mou avait certifié savoir il mettait les pieds. La fin de saison dernière avait viré au grand n’importe quoi pour le club stambouliote, en guerre ouverte avec la Fédération. Il n’a pas été déçu du voyage. Après des premières semaines passées à observer, rappelant qu’il n’était que le « Foreign One » qui devait s’adapter à son nouvel environnement, l’ancien coach de Chelsea, de l’Inter ou du Real n’a pas tardé à l’ouvrir haut et fort.

Classic José

On vous passe les mille et une petites phrases sur certaines décisions arbitrales défavorables qui ont émaillé un début de saison compliqué pour le Fener’, vite distancé par le rival Galatasaray en championnat, le véritable tournant se situe début novembre, après une victoire arrachée dans les arrêts de jeu sur la pelouse de Trabzonspor (2-3). Les deux penalties sifflés pour les locaux ont fait dégoupiller le Mou, qui a réglé ses comptes à la fin du match et en a profité pour dire tout le bien qu’il pensait du football turc.

« On m’avait prévenu de ce qui m’attendait avant mon arrivée, mais c’est pire que ce qu’on m’avait dit, avait-il lâché. L’arbitre vidéo a vu les deux penalties contre nous, mais quand il fallait en donner un pour nous, il prenait le thé ? On combat nos adversaires, mais aussi le système. La Turquie n’est pas mon pays, ça me touche parce que c’est mon job, mon club, mais vous [les Turcs] devriez vous en soucier. Vous devriez en parler, pas moi. Vous devriez dénoncer ce qui se passe ici année après année. je vais être celui que le système va essayer de faire taire, mais nous, on est propres. »

José tout en retenue au moment de fêter la victoire à Trabzonspor, en novembre.
José tout en retenue au moment de fêter la victoire à Trabzonspor, en novembre. - Hakan Burak Altunoz / Anadolu via AFP

Rebelote en janvier, alors qu’il avait encore en travers de la gorge le vilain match nul concédé contre Eyupspor (11e) quelques semaines auparavant. « La seule chose que je peux dire, c’est qu’après 25 ans comme entraîneur, 35 ans dans le football et 10 ans comme assistant, je n’ai jamais rien vu de pareil, a-t-il cette fois attaqué. Cela a une dimension qui dépasse ce qui est compréhensible. »

Vu de chez nous, tout ça ressemble à du classic José. Tout le monde connaît le personnage et ses excès, et l’on peut se demander quel crédit apporter à ses sorties. Alors, Mourinho chevalier blanc ou simplement dans son éternel costume du coach persécuté que la terre entière voudrait voir échouer ? En Turquie, ses mots ont en tout cas une forte résonance. Mais ils y prennent une tonalité différente, selon que l’on soit supporter de Fenerbahçe, de Galatasaray ou simple observateur.

« S’il n’aime pas la Turquie, il peut partir »

« Ses adversaires disent que ce sont des prétextes, mais il reçoit pas mal de soutien aussi, et pas seulement de la part des fans de Fenerbahçe, témoigne Yusuf Kenan Calik, journaliste pour Sky Sport et Ekol TV basé à Istanbul. Il y a des choses qui vont mal dans le football turc, comme l’arbitrage, les finances, les transferts ou l’équité dans le jeu. On n’avait pas besoin de José Mourinho pour le découvrir, mais le fait que lui le dise, ça fait des vagues. »

Les polémiques s’enchaînent depuis le début de saison, avec le Portugais en chef d’orchestre. La Fédération l’a suspendu pour un match et condamné à une amende en novembre, pour avoir « diminué la valeur du football turc et discrédité l’impartialité des arbitres », mais elle reste muette sur le fond du propos, « parce qu’elle sait bien que tout n’est pas faux », ironise notre confrère. Le Cimbom (surnom du club de Galatasaray), de son côté, commence à s’agacer légèrement.

C’est ainsi que le gardien uruguayen Fernando Muslera, pas loin du statut de légende avec ses 531 matchs depuis son arrivée en 2011, s’est permis un recadrage. « Les insultes envers le football turc et le fait qu’il attaque certains arbitres sont des choses qui me dérangent, a-t-il dénoncé auprès du Turkiye Today. Si Mourinho, arrivé ici il y a quatre mois, n’aime pas la Turquie, il peut partir. Personne ne lui dit rien, je pense qu’il est temps que ça change. »

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Reste que le football turc est en train d’essayer de changer. En fin de saison dernière, la Fédération avait fait venir des arbitres étrangers pour s’occuper du VAR lors des matchs à enjeux, en attendant peut-être de les mettre sur le champ. La création d’une Ligue de football professionnel, comme ce que l’on peut voir chez nous ou nos voisins européens, est également à l’étude.

« Les choses bougent petit à petit, et je pense que Mourinho peut être un accélérateur pour ces changements, estime Yusuf Kenan Calik. Quand il parle, on l’écoute. De grands entraîneurs sont passés ici, comme Mancini, Aragones, Del Bosque, Schuster ou Prandelli, mais son aura est bien supérieure. Il dresse un miroir au football turc, en fait. Les gens qui ne veulent pas reconnaître que les choses qui vont mal, avec lui ils sont obligés de regarder les choses en face. »

NOTRE DOSSIER SUR LA LIGUE EUROPA

Une sorte d’effet Mourinho commencerait donc à infuser, mais il ne faudrait pas oublier que le sort de l’intéressé reste suspendu à ses résultats sportifs. Sorti en tour préliminaire de la Ligue des champions par le Losc, deuxième à six points de Galatasaray en championnat, seulement 21e et pas loin de la porte en Ligue Europa avant cette avant-dernière journée, le Portugais est sur un fil.

Alors que le Fener’court désespérément un titre de champion depuis 2014 (la plus longue disette de son histoire), l’homme aux sept titres nationaux dans quatre pays différents est attendu au tournant. On ne sait pas si sa parole portera encore plus s’il parvient à ramener son équipe au sommet, mais en tout cas il s’offrira du temps pour essayer.