France

Donald Trump : La France et l’UE doivent-elles contre-attaquer si les Etats-Unis augmentent leurs droits de douane ?

Au tribunal des questions macroéconomiques,

Messieurs dames les jurés, quand on l’attaque, l’empire français doit-il contre-attaquer ? Au lendemain de son investiture, Donald Trump s’est lancé dans une diatribe économique contre l’Union européenne. Le nouveau président américain a ainsi déclaré que l’Europe était « très mauvaise pour les Etats-Unis » et « méchante », avant d’avertir que les pays européens vont être prochainement soumis à une hausse des droits de douane, « seul moyen » pour les États-Unis « d’être traités correctement ».

La France ne pourra alors répondre isolément, comme le rappelle l’avocate générale de ce procès, Marie Fernet, avocate et docteure en droit, spécialiste en droits des douanes : « La France ne peut pas agir seule en matière de riposte douanière. Cette compétence relève exclusivement de l’Union européenne, qui décide collectivement des mesures à prendre, notamment des surtaxes douanières, en réponse à des actions jugées déloyales ou contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce ». Précision faite, l’Europe doit-elle riposter et imposer à son tour des droits de douane aux produits Made in USA ? J’appelle à la barre la défense.

NON, restons tranquilles et n’envenimons pas la situation

Votre honneur, ce n’est pas parce que notre voisin fait une bêtise qu’il faut la reproduire. Oui, une bêtise ! Selon Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asteres, « l’idée de contre-attaquer me semble être un mauvais calcul sur le bilan économique. » Ainsi, la hausse massive des droits de douane promise par Donald Trump est critiquée par de nombreux experts pour les conséquences négatives qu’elle pourrait avoir sur l’économie américaine, notamment l’inflation (on en parle ici). Et ce n’est pas tout. « En augmentant les droits de douane, le dollar est réévalué par rapport aux autres monnaies. Ce qui rend les produits américains plus chers sur le marché international, et donc moins compétitifs… notamment face aux produits européens », rappelle notre spécialiste.

Vous l’aurez compris, Sylvain Bersinger penche pour le dos rond : « Quel que soit le pays en face et ses droits de douane, aussi offensives soit la Nation  »adverse », on ne sort pas vainqueur en augmentant nos droits de douane. C’est de l’ego plus qu’un bon calcul. »

D’autant plus que selon le Code civil article 4 alinéa 3, comparaison n’est pas raison. « Notre situation n’est pas celle des Etats-Unis », rappelle Sylvain Bersinger. Contrairement à Washington, qui a un déficit commercial astronomique de 770 milliards de dollars, l’Union européenne est en excédent commercial de 20,9 milliards d’euros. Pas mirobolant certes, mais suffisant pour se dire qu’augmenter les droits de douane et provoquer des réactions épidermiques ailleurs n’est pas dans notre intérêt. La situation est encore pire si on s’attarde sur le cas spécifique UE-Etats-Unis, puisque les Vingt-Sept vendent 157 milliards de dollars de plus de produits qu’ils n’en achètent aux Etats-Unis.

En résumé, laissons les Américains faire leurs (mauvais) choix. La taxe du crapaud n’atteint pas la blanche colombe.

OUI, allons-y et attaquons à notre tour l’Amérique

Certes, Sylvie Mattely, économiste et directrice de l’Institut Jacques Delors, l’admet : « Augmenter les droits de douane, c’est se tirer une belle balle dans le pied ». Mais « en augmentant leurs droits de douane, les Américains nous tirent déjà une balle. » Peut-on rester sans rien faire, votre Honneur ? D’autant que l’UE a de quoi engager un bras le fer. « C’est un marché unique de 450 millions de consommateurs, de quoi faire mal à n’importe quelle économie, fut-ce les Etats-Unis », On l’a dit, Washington importe moins qu’il n’achète sur le Vieux continent, mais les Etats-Unis vendent tout de même pour 350 milliards d’euros de produits chaque année à l’Union européenne. De quoi ne pas apprécier une hausse du prix d’entrée sur le marché.

Un scénario similaire s’était déroulé lors du premier mandat de Donald Trump, les Etats-Unis appliquant des taxes sur l’aluminium et l’acier européen. Réaction en quelques mois de l’UE, qui avait elle-même rehaussé les droits de douane sur certains produits US. Le bras de fer avait permis un moratoire, lors du mandat de Joe Biden, sur les droits de douane des deux camps.

Cependant, tout n’est pas parfait, intervient notre avocate générale Marie Fernet : « Les exportations européennes sur l’acier et l’aluminium sont soumises à des quotas. Concernant le différend vieux de plus de quinze ans entre Airbus et Boeing, en 2021, Washington et Bruxelles ont suspendu les tarifs réciproques qui en découlaient. Mais comme pour l’acier et l’aluminium, l’exemption est temporaire et doit être renouvelée au bout de cinq ans. »

Un autre bras de fer avait été observé entre les Etats-Unis et la Chine, chacun surtaxant l’autre jusqu’à conclure un accord commercial, rappelle Sylvie Mattely.

« Il ne faut pas se laisser faire, sinon Donald Trump va aller dans la surenchère. On ne peut pas être passifs », estime l’experte. Qui le rappelle : les Etats-Unis ne respectent pas les règles de l’OMC. En somme, Messieurs-Dames les jurés, il faut bien vivre avec son temps. « Aujourd’hui, nous sommes à l’ère post-multilatéralisme, où chacun s’octroie ce que l’autre lui concède. Il faut donc avoir une réponse claire. »

La conclusion de l’avocate générale, Marie Fernet :

« L’intérêt de la France dépend de la nature des produits concernés et de leurs secteurs stratégiques. Une riposte économique peut s’avérer nécessaire pour défendre les intérêts des entreprises françaises et maintenir un équilibre commercial. La position française est généralement alignée sur celle de l’UE, qui privilégie un équilibre entre fermeté et dialogue, afin de ne pas compromettre les relations transatlantiques tout en protégeant ses industries. » »