France

Prison : Des personnes handicapées, s’estimant privées de soin, attaquent l’Etat

Un détenu amené en slip au parloir et contraint de rester alité faute de soignant. Un autre qui n’a pas eu accès pendant des années à un fauteuil roulant électrique ni aux séances de kiné dont il a besoin… Être handicapé en prison s’apparente parfois à une forme de double peine dans certains établissements. Particulièrement à Toul (Meurthe-et-Moselle), où plusieurs personnes entament une procédure contre l’Etat pour faire constater divers manquements.

« Je souhaite faire cesser les atteintes à la dignité, qu’il y ait du personnel médical et un accès aux soins pour que le minimum des préconisations soit respecté », explique maître Charly Salkazanov, l’avocat de trois détenus pour lesquels il a engagé un référé-liberté, une procédure d’urgence.

Séances de kinésithérapie

L’une de ces personnes, un dénommé Francis, âgé de 53 ans, purge une peine de prison pour avoir séquestré une bijoutière. Il est par ailleurs atteint de la maladie de Charcot-Marie-Tooth depuis 2009, une maladie qui entraîne « une diminution de la force musculaire et de la sensibilité » et qui a été reconnue par divers certificats médicaux, lesquels affirment qu’il a impérativement besoin d’un fauteuil roulant électrique. L’administration pénitentiaire a été condamnée au mois de novembre pour ne pas lui avoir prodigué l’objet, qu’il a fini par obtenir au bout de plusieurs années de lutte avec l’administration.

Mais cette lutte n’est pas finie, car Francis n’a toujours pas accès à de nombreux soins pourtant recommandés par plusieurs médecins, y compris des certificats médicaux récents datant de décembre 2024 qui lui prescrivent deux séances d’ergothérapie, deux à trois séances de kinésithérapie et deux séances d’hydrothérapie par semaine, soit 6 ou 7 séances par semaine au total. A la place, il n’a reçu qu’une séance de 30 minutes par semaine depuis le 12 septembre 2024, après action de ses avocats successifs.

Des détenus obligés de faire appel… à d’autres détenus

Autre problème, et non des moindres : alors que ce détenu a besoin de l’assistance d’une tierce personne pour se vêtir, se laver, faire sa toilette et passer de son fauteuil roulant à son lit, effectuer ces simples tâches semble relever du parcours du combattant, selon ses dires. « Du fait de l’absence d’aide, le requérant dort tous les soirs dans son fauteuil roulant », note son avocat. Pour pouvoir se coucher dans son lit, il faudrait que Francis accepte de s’endormir parfois en plein milieu de l’après-midi, puisque d’après les détenus, il n’y a plus aucune aide après 17h30. « Les horaires de l’aide-soignant ne sont pas à la carte, lui a répondu sèchement le directeur du centre, selon un courrier que 20 Minutes a pu consulter. Si dans sa tournée l’aide soignant passe à 17h30, cet horaire s’impose au patient. »

L’administration a également proposé une curieuse alternative. Pour être mis au lit, Francis n’a qu’à demander de l’aide… à un autre détenu. « Une personne détenue qui a validé une formation est également très présente pour aider et assister l’intéressé », fait valoir l’administration dans un courrier adressé à son conseil. Mais « l’intéressé » refuse d’être aidé par un autre détenu, qui aurait été incarcéré pour viol, selon ses dires.

« Mensonges » ?

Plus généralement, l’administration pénitentiaire estime les allégations de Francis exagérées ou carrément « mensongères », selon le mot qu’elle emploie dans un courrier que nous avons pu lire. Le directeur du centre de détention affirme avoir demandé aux surveillants de nuit de noter où dormait Francis. « Dans la très grande majorité des cas, [le détenu] est allongé dans son lit, il dort paisiblement au milieu de la nuit alors qu’il était en fauteuil à la fermeture à 19h30 puisqu’il refuse systématiquement l’aide proposée pour pouvoir se coucher. [Il] est donc parfaitement capable de passer de son fauteuil à son lit », écrit-il.

Qui dit vrai ? Et qui ment ? D’un côté, l’administration est peu encline à croire un détenu qui avait été libéré en 2015 pour raisons médicales, qui prétendait alors ne quasiment plus pouvoir marcher… avant qu’on ne retrouve son ADN sur une scène de braquage. De l’autre, l’avocat de ce détenu a pu lui-même constater que cette administration niait parfois l’évidence, puisqu’il lui est arrivé de constater qu’un autre détenu lui avait été amené en slip, ce à quoi le directeur du centre avait répondu : « Il était en short et non en sous-vêtements. »

Des représailles après des menaces de mort

« Il y a un climat général de suspicion », tempête Charly Salkazanov, qui affirme que Francis a fait l’objet de menaces de mort en détention de la part d’un aide-soignant. Une plainte a été déposée le 14 janvier. L’ordinateur du détenu, qui avait pu enregistrer l’échange litigieux, a depuis été confisqué, dans ce qui s’apparente à des formes de représailles, exprimées en des termes presque directs par l’administration : « S’agissant de son ordinateur portable, celui-ci lui a en effet été retiré pour contrôles par notre service informatique. […] Monsieur X devait respecter quelques règles d’utilisation et notamment s’interdire d’utiliser le micro et/ou la caméra pour enregistrer les personnels en détention. […] La saisie de son ordinateur a pour but de vérifier s’il a effectivement utilisé son ordinateur à ces fins [d’enregistrement]. » Une enquête interne est en cours.

Et le cas de Francis n’est pas le seul puisque au moins deux autres détenus, également soutenus par maître Salkazanov, se plaignent du traitement qui leur est réservé. Un homme que nous appellerons Pedro, âgé de 67 ans, qui vit en fauteuil roulant et souffre également d’une paralysie de son bras droit ainsi que d’une partie de son visage, reste alité dix-huit heures par jour faute de soignant disponible, selon son conseil. Un autre détenu réclame en vain un suivi psychologique, et a envoyé plusieurs courriers qui n’ont pas obtenu de réponse. Tous dénoncent par ailleurs des nuisibles, punaises de lit et autres cafards.

Contactée par 20 Minutes, l’administration pénitentiaire fait valoir que les plaignants sont situés dans une « aile de détention spécialisée dans la prise en charge des personnes détenues en situation de handicap » et estime que les soignants (médecins, infirmiers, aides-soignants), « sont présents quotidiennement au sein de cette aile ». « La personne détenue en question est hébergée dans une cellule PMR de cette aile spécialisée, dotée de tout l’équipement nécessaire (lit médicalisé) », ajoute l’administration.

La justice dira bientôt si cette prise en charge se fait selon des conditions de détention suffisamment dignes au regard du droit, qui, rappelons-le, impose que nul ne soit soumis à des traitements « inhumains ou dégradants ».