Paris : L’affiche anti-tabac sur l’église était payée… par un cigarettier
Fini la nicotine pour Notre-Dame-de-Lorette. Bâchée depuis plusieurs semaines pour travaux, l’église du 9e arrondissement s’est retrouvée au cœur d’une petite polémique impliquant l’industrie du tabac et la mairie de Paris.
Le 2 janvier dernier, le monument s’est retrouvé affublé d’un affichage promotionnel, pratique devenue courante dans la capitale et qui doit participer au financement des travaux de rénovations. « Une France sans tabac, ça vous intéresse ? Nous aussi », indique l’affichage sur fond bleu. À première vue, l’intention semble louable, tout autant que la suite qui indique en plus petit « Et si on se parlait des alternatives » avec un QR code à scanner qui mène directement sur le site francesanstabac.fr.
Un cigarettier derrière la campagne
Et c’est ce qui a fait tiquer l’Alliance contre le tabac, une ONG qui lutte contre les ravages de la cigarette. Car derrière ces messages de prévention se cache… un géant de l’industrie du tabac. En effet, le site en question appartient à BAT France, la branche française de British American Tobacco, deuxième plus grand producteur de tabac au monde avec des marques aussi connues que Lucky Strike, Dunhill, Vogue, etc.
« C’est incroyable de voir un cigarettier s’afficher ainsi sur une bâche de 360 m2 en plein cœur de Paris, s’indigne l’ONG, parce que derrière cette « France sans tabac » qu’ils veulent nous vendre, ce sont des sachets de nicotine et autres produits qui sont eux aussi très nocifs. » Avançant la loi Evin de 1991 et le Code de santé publique qui interdit toute opération de promotion directe ou indirecte de l’industrie du tabac ou de ses produits, l’ONG met la mairie de Paris, propriétaire du monument, face à l’évidence et a réussi à faire retirer l’affichage… qui sera tout de même resté deux semaines sur Notre-Dame-de-Lorette.
La publicité et le mécénat, interdits par la loi Evin
« Cette publicité est même doublement illégale puisque en plus de la promotion de l’industrie du tabac, le Code de santé publique interdit également le parrainage et le mécénat par les industries du tabac », ajoute Alliance contre le tabac.
Une accusation dont se défend BAT France. Contacté par 20 Minutes, le cigarettier n’a pas la même vision de la situation et regrette le retrait de la bâche. « Cet affichage a été fait en toute légalité. Il ne s’agissait pas d’un affichage commercial ou d’une publicité de nos produits, ni sur l’affiche, ni sur le site », explique Sébastien Charbonneau, directeur des affaires publiques du groupe. Selon lui, francesanstabac.fr n’est qu’un site « d’information et de pédagogie » basé sur « des faits et des preuves scientifiques » sur la réduction des méfaits associés au tabagisme, notamment via des alternatives.
Un rapide tour sur ledit site, montre que celui-ci met en avant différentes études qui vantent l’intérêt des alternatives au tabac, dont les sachets de nicotine dans la lutte contre le tabagisme. « Bien évidemment, commente Alliance contre le tabac, le sous-entendu derrière « un monde sans tabac », c’est un monde avec des sachets de nicotine. »
La mairie assure avoir été trompée
Il faut dire qu’avec la baisse des ventes de cigarettes dans le monde ces dernières années, l’industrie mise gros sur les produits alternatifs comme le vapotage ou les sachets de nicotine. Problème, ces pouches ne sont pas sans danger pour la santé et ont un potentiel d’addiction très fort selon les professionnels de santé.
Contactée par 20 Minutes, la mairie de Paris en a bien conscience et a fait retirer l’affichage promotionnel dès l’alerte donnée par Alliance contre le tabac. « Il n’a pas été détecté immédiatement que derrière la campagne se tenait l’industrie du tabac. Cette industrie cherche à tromper les consommateurs en leur proposant de la nicotine en pastille pour arrêter de fumer et fait ainsi fit des conséquences terribles de la nicotine sur la santé humaine », assure la mairie qui explique en sus que « le processus d’instruction par la ville de Paris passe par l’expertise et l’analyse des propositions publicitaire par le service du patrimoine Cultuel et la validation d’élues et du curé de la paroisse ».
S’estimant trompée, elle a fait décrocher l’affichage dès que la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) a donné son accord et « se réserve le droit de se retourner contre la régie publicitaire » qui avait gagné l’appel d’offres et ainsi proposé cette campagne. Un affichage estimé à 300.000 euros selon Alliance contre le tabac, « nettement moins » selon BAT France qui ne demandera pas de dédommagement, assure Sébastien Charbonneau : « Pour nous le dossier est clos. »