« Je n’ai pas le profil de l’alcoolique. Mon parcours est d’autant plus effrayant »
Adeline, 30 ans, n’a plus touché à un verre d’alcool depuis deux ans. « Un matin, je me suis regardée dans le miroir et je me suis dit ‘j’arrête' », raconte la jeune femme dont la santé s’était considérablement dégradée. Par son récit, elle espère alerter sur une forme d’alcoolisme dont on ne parle pas encore suffisamment. Témoignage.
- Publié le 20-01-2025 à 06h35
Longs cheveux bruns, vêtements sobres, quelques touches de maquillage. Tout dans l’apparence d’Adeline (prénom d’emprunt) laisse penser qu’elle aime se faire discrète. Pourtant, son arrivée à la réunion des Alcooliques Anonymes ne passe pas inaperçue. Pas tant à cause du comportement de la jeune femme. Plutôt en raison de son profil qui dénote. Entourée d’hommes autour de la table, la trentenaire, très propre sur elle, brise le cliché du « vieux pilier de comptoir ». Et c’est précisément le message qu’elle veut faire passer. « Quand on parle d’alcooliques, on a toujours la même image qui nous vient à l’esprit. Ce n’est clairement pas moi. Et pourtant me voilà », assume-t-elle d’emblée.
Cette expat’, qui ressemble à ces femmes d’affaires que vous pouvez croiser dans le métro bruxellois, nous raconte son parcours plutôt « banal ». Contrairement à d’autres amis, elle n’a pas d’histoire sulfureuse, pas de drame qui l’a poussée vers la bouteille. Son récit est « d’autant plus effrayant », estime-t-elle. Parce qu’il montre que ce mal qui l’a rongée pourrait s’immiscer dans la vie de n’importe qui.
« On me félicitait de savoir boire comme ça »
Tout commence dans les fêtes de village. La jeune femme les apprécie. Mais, dans ces endroits, l’alcool coule à flot. Tout le monde lève le coude. Elle ne réfléchit pas et fait de même. En plus, elle se rend compte que, mine de rien, picoler ça aide en société. « J’étais très introvertie. Au final, j’étais contente de bien tenir l’alcool. On m’a même félicitée de pouvoir boire comme ça alors que j’étais une femme. Certains me disaient que je n’étais plus du tout la même quand j’étais ivre. La fille calme et sérieuse se transformait en grande fêtarde ! » Le temps passe, Adeline se spécialise dans l’art de la beuverie. Et les études, qu’elle fait en partie à l’étranger, n’aident pas. « On sait comment ça va. Surtout dans les grandes écoles avec les soirées étudiantes. La consommation d’alcool est normalisée, c’est une façon de s’intégrer. Ca n’a fait que me conforter dans l’idée de devoir boire pour m’amuser. »
Une fois son diplôme en poche, la jeune femme ne tarde pas à trouver du travail. Nouvelle vie, nouvelles habitudes. Mais il y en a une qui ne la quitte pas. Elle continue à enchaîner les soirées et les verres. « J’étais toujours dans le même état d’esprit. Je me suis rendu compte que ça ne collait pas avec le monde du travail. » Mais rien n’y fait. Elle continue sur sa lancée.
Des bouteilles dans le sac, des plaques rouges sur le corps
« J’ai perdu le contrôle », reconnait-elle, sans arriver à sortir de cette spirale infernale. Voir ses amis ou sa famille sans avoir bu au préalable devient impossible. Elle cache des bouteilles dans ses affaires, apporte toujours plus à boire aux dîners auxquels elle est invitée. « Je ne me reconnaissais plus, je faisais des choses qui m’ont surprise », poursuit-elle. Et son corps commence à ne plus suivre. « L’impact sur ma santé était impressionnant. J’étais souvent malade, j’avais des rougeurs, des plaques sur le corps qui ne partaient plus. » Son couple bat de l’aile. Elle sent que quelque chose ne tourne pas rond. Arrive alors le déclic. « Je me souviens, c’était pendant les fêtes de fin d’année. Même après avoir picolé toute la soirée, même après avoir été malade, je recommençais à boire de grand matin », raconte Adeline. « En janvier, je me suis regardée dans le miroir. J’ai dit ‘j’arrête’. »
C’est seulement à partir de ce moment qu’elle ose parler de son problème à sa famille. Finalement, elle a toujours su sauver la face. Ses proches étaient donc loin de s’imaginer qu’elle en était arrivée à ce point. « Ca m’a fait du bien d’en parler librement. Ca a changé beaucoup de choses. Il y a eu une grosse prise de conscience dans mon entourage. Je ne m’y attendais pas. » En aucun cas, elle n’impose l’abstinence à ses proches. Elle n’essaie pas de les convaincre sur les dangers de cette addiction qui l’a mise à terre. D’eux-mêmes, ils adaptent leur consommation.
Les « AA » : des larmes, des rencontres, le début d’une nouvelle vie
Pour ce qui est d’Adeline, ce n’est que le début d’un long processus. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle se rend à une réunion des Alcooliques Anonymes. « J’ai été surprise par l’accueil. C’était très chaleureux. J’ai beaucoup pleuré, mais à aucun moment je ne me suis sentie jugée », rapporte-t-elle, avec une réelle reconnaissance dans la voix. « Les témoignages m’ont beaucoup aidée. C’était impressionnant à entendre. Et la diversité des parcours était une vraie richesse. » Pour ne pas retomber dans ses vieux travers, la trentenaire évite durant les premiers mois les bars, les concerts et autres événements festifs. Mais, très vite, elle arrive à reprendre une vie « normale ». Elle est capable aujourd’hui de s’assoir dans un café, de commander un thé et de regarder un ami boire une bière. « Je sens toutefois que mes relations avec les gens ont changé. Elles sont plus saines. Quand je vois des amis, c’est pour avoir de vraies discussions. Avant, c’était surtout une excuse pour boire dans des endroits bruyants. »
Deux ans se sont écoulés depuis son dernier verre. Et elle continue à se rendre de manière régulière aux réunions des « AA », qu’elle apprécie toujours autant. Son seul regret ? Ne pas y rencontrer plus de jeunes femmes. « L’alcoolisme féminin est différent, davantage caché. Les femmes parviennent peut-être mieux à faire comme si tout allait bien. Pourtant, elles souffrent des mêmes maux que les hommes. »
Comme les autres « AA », Adeline aborde chaque journée à la fois. Pour elle, ce n’est pas une vie d’abstinence qui l’attend, mais 24 heures. « C’est trop déprimant de penser autrement », confie-t-elle. « On s’occupe d’aujourd’hui. Demain, on verra. »