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LGV Sud-Ouest : « On s’arrêtera quand les bulldozers seront dans le salon »… La ligne avance, les opposants ne lâchent pas

L’année 2025 sera-t-elle décisive pour l’avenir de la Ligne nouvelle du Sud Ouest (LNSO) ? Alors que le collectif « LGV nina » (ni ici, ni ailleurs) prépare un nouveau « grand week-end de mobilisation contre les LGV », entre le 21 et le 23 mars dans la vallée du Ciron (Gironde), secteur qui doit se retrouver au cœur du futur triangle ferroviaire constituant le nœud de ce projet, SNCF Réseau continue de dérouler l’avancée de ses divers aménagements ferroviaires et travaux préparatoires.

Ainsi, les aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux (AFSB) ont démarré après l’autorisation environnementale délivrée le 18 octobre par la préfecture de Nouvelle-Aquitaine. Ils visent notamment à créer une troisième voie et à supprimer six passages à niveau sur une distance de 12 kilomètres. Des travaux similaires ont commencé au nord de Toulouse (AFNT) en février 2024. « Ce sont des opérations jumelles qui visent à donner de la capacité en gares de Toulouse Matabiau et de Bordeaux Saint-Jean » explique Christophe Huau, directeur de l’agence du Grand Projet du Sud-Ouest (GPSO) chez SNCF Réseau.

« On ne peut pas séparer » la grande vitesse et les trains du quotidien

Si du côté de Bordeaux, « nous n’en sommes encore qu’aux travaux préparatoires », poursuit Christophe Huau, « nous allons bientôt entrer dans le vif du sujet. » Ce qui est déjà le cas du côté de Toulouse, avec le démarrage imminent de l’installation des caténaires et des voies.

Ces aménagements doivent permettre d’intégrer la future ligne à grande vitesse entre Toulouse et Bordeaux, dont la construction démarrera en 2028. Mais ils doivent aussi répondre au besoin de développer les trains du quotidien et de lancer les RER Métropolitains. Comme le rappelle le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, les AFSB consisteront notamment à « ajouter des trains sur l’axe Bordeaux-Langon-Agen. » « Le fait d’avoir des trains rapides qui emprunteront la future ligne nouvelle permettra de libérer des sillons sur les lignes existantes et d’y rajouter des TER, explique ainsi Benoit Lemozit, de la Société du Grand Projet du Sud-Ouest. On ne peut pas séparer les deux. » Le calendrier prévoit la fin des travaux à Toulouse en 2031, et à Bordeaux en 2032.

« Des dizaines de millions d’euros déjà engagés »

Ce n’est pas tout. Pour montrer que le projet à 14 milliards d’euros, qui doit notamment mettre Toulouse à 3h10 de Paris à partir de 2032, a bien démarré, SNCF Réseau ajoute avoir lancé « des travaux préliminaires » tout au long des 222 km de la future ligne entre Bordeaux et Toulouse. « Les campagnes d’analyses de sols vont se poursuivre en 2025, et nous avons démarré en novembre les diagnostics liés à l’archéologie préventive, notamment dans le Lot-et-Garonne, énumère Christophe Huau. Là encore, le chantier GPSO est visible sur tout le linéaire. Même s’il s’agit de travaux préparatoires, ce sont des dizaines de millions d’euros qui ont déjà été engagés. »

L’année 2025 sera de surcroît marquée par « la préparation des gros appels d’offres de travaux » avec, à la clé, « des contrats à plusieurs milliards d’euros » qui doivent être signés en 2026.

« Absurdité totale du projet »

« On fait tout pour nous imposer ce projet », pointe de son côté Véronique, membre du collectif « LGV ni, na » et habitante de la vallée du Ciron. « Mais on s’arrêtera quand on aura les bulldozers dans la salle à manger, ils sont encore à 80 km de chez nous », prévient cette opposante qui assure qu’au-delà des aménagements ferroviaires en cours, « le reste du projet n’est absolument pas garanti financièrement. » Bref, qu’il est encore temps « d’y mettre un terme. »

Véronique explique que la vallée du Ciron, « hot spot de biodiversité » situé au sud de Bordeaux et surnommé le « Lascaux de la biodiversité » par des naturalistes, serait défigurée par les travaux de la LGV. « On se retrouverait avec 17 ouvrages d’art pour passer au-dessus des cours d’eau et une vingtaine de villages impactés. Nous sommes persuadés que la vallée du Ciron peut permettre de faire comprendre l’absurdité totale de ce projet à l’heure du changement climatique. »

La manifestation de mars, qui s’intitulera « Le printemps du Ciron », se tiendra à Bernos-Beaulac, village situé « en plein milieu des zones Natura 2000 traversées par la LGV ». « Ce ne sera pas qu’un rendez-vous de naturalistes, on va aussi parler transport et économie. Car une des bonnes raisons d’abandonner ce projet, c’est son budget, poursuit Véronique. C’est un projet vieux de plusieurs années, avec des coûts qui s’enflamment et qui ne correspond pas aux vrais besoins des habitants en matière de mobilité. »

« Pas de fenêtre pour une ouverture de la ligne avant 2038 »

Le calendrier et le budget sont-ils d’ailleurs réellement tenables ? L’expert ferroviaire Robert Claraco, à la tête d’un cabinet d’études dans le domaine du transport et auteur d’une étude d’alternative aux LGV, assure qu’il n’y a « pas de fenêtre pour une ouverture de la ligne Bordeaux-Toulouse avant 2038. » Pourquoi ? « Parce qu’il faut d’abord terminer les grands chantiers de régénération des lignes existantes autour des axes du projet GPSO, et qu’il faudra ensuite réaliser des bases travaux qui nécessitent beaucoup de temps » explique-t-il à 20 Minutes. « Il y a une différence entre la politique et la réalité, poursuit-il, et GPSO est un projet qui n’est même pas achevé au niveau théorique. On n’a pas encore complètement figé les schémas de construction ».

L’expert ferroviaire remet aussi en cause le coût du projet. « Entre l’explosion du prix des matières premières, celui du travail et celui des investissements, il y aura incontestablement une dérive financière, annonce-t-il. Personne ne veut actualiser le chiffre de 14 milliards d’euros, dont on ne sait même pas si on peut le financer. Or je serai très surpris que l’on soit en dessous de 18, voire 19 milliards à l’arrivée. »

« L’objectif reste 2032, sauf s’il y a des aléas »

« Il n’y a pour le moment aucune ambiguïté sur un calendrier à 2032 » tranche pourtant Christophe Huau. « Je ne sais pas d’où sort cette analyse, s’interroge Benoît Lemozit, mais je vous confirme que l’objectif de nos élus, de l’État et des partenaires reste fixé à 2032. A ce jour, il n’y a rien qui nous permette d’avancer que ce n’est pas possible, sauf s’il y a des aléas d’ici là ».

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Sur le financement, le représentant de la Société du Grand Projet est en revanche plus prudent. « Evidemment, les chiffres seront mis à jour, et nous constaterons indéniablement des différences, probablement pas à la baisse, avance même Benoît Lemozit. Quand le projet a été chiffré en 2022, personne n’avait en tête l’hypothèse inflationniste aussi importante que nous avons connue. » Il n’envisage pas pour autant de dérapage « alarmant » à l’horizon car, dit-il, « ce budget avait anticipé une hypothèse d’inflation de 2 % par an en moyenne sur quarante ans. »