SM Caen : « Aujourd’hui, c’est l’inquiétude qui domine »… Le projet Mbappé a-t-il déjà du plomb dans l’aile ?
Un poète Caennais répondant au doux nom d’Orelsan a chanté un jour « Tu paries la moitié de ton salaire que Caen va gagner ? Mauvaise idée ». Cette mise en garde n’a jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui. Racheté par Kylian Mbappé via son fonds d’investissement Coalition Capital à la rentrée, le Stade Malherbe n’est pas encore tout à fait au bord du précipice, mais il commence gentiment à se rapprocher de la falaise et peut déjà humer l’air marin en contrebas sans avoir à beaucoup se pencher en avant.
Seizièmes de Ligue 2 à égalité avec le premier relégable, Ajaccio, et avec déjà six points de retard sur le premier non barragiste, Troyes, les Normands jouent une partie de leur avenir ce vendredi soir, à Ajaccio justement. Et si un succès ne résoudra pas tous les problèmes, loin de là, il permettrait au moins de donner un peu d’oxygène à un club de plus en plus critiqué par une (grosse) frange de ses supporters. Lors du dernier match à domicile contre Clermont, les ultras du Malherbe Normandy Kop ont déployé une banderole en guise d’avertissement en direction de leur jeune et richissime propriétaire : « Mbappé, le SMC n’est pas ton jouet ».
« Une forme d’improvisation permanente »
Qu’il semble déjà loin le temps des réjouissances, quand toute une région s’était prise à rêver à des lendemains qui frétillent avec leur nouveau Golden Boy aux manettes. En quelques mois, à force de décisions mal comprises et de tâtonnements coupables, la famille Mbappé a perdu pas mal de crédit auprès de ses fans. Supporter caennais et chroniqueur chez nos amis de We Are Malherbe, Jean-Baptiste nous résume le basculement en quelques mots : « On voulait attendre de voir ce que ça allait donner mais les gens partaient confiants. Aujourd’hui, c’est surtout l’inquiétude qui domine au vu des dernières décisions et des mauvais résultats. Tout cela donne l’impression d’une forme d’impréparation et d’improvisation permanente. »
C’est vrai que question mouvements, Caen n’a de leçon d’inertie à recevoir de personne. Après avoir mis de côté le directeur sportif Yohan Eudeline, le club a dû patienter de longs mois avant que Reda Hammache finisse par quitter le Red Star pour signer officiellement en Normandie. C’était le 13 janvier dernier, soit plus de six mois après la reprise du club.
Pendant ce temps-là, c’était au nouveau président Ziad Hammoud, un proche du clan Mbappé aux manettes de Interconnected Ventures, la société qui gère les intérêts du Madrilène, de prendre en mains la politique sportive, un domaine qu’il ne maîtrise pas forcément et dont il ne s’en cachait pas. Cette transition à la schlague a entraîné un joyeux « bordel », comme l’expliquait un agent de joueur à nos confrères de RMC, celui-ci ayant du mal à savoir vers qui se tourner pour régler les questions contractuelles de son client.
Joint par 20 Minutes, Jérôme Lancery, l’agent du jeune Lorenzo Rajot, nous donne un son de cloche un peu différent. « J’avais un lien très fort avec Yohan Eudeline avec lequel on avait trouvé un accord contractuel, mais le dossier a mis du temps à se concrétiser avec la vente du club. De notre côté on avait refusé pas mal d’autres offres car Lorenzo voulait absolument signer à Caen mais, voyant que le dossier patinait, on s’est demandé ce qu’on allait faire. A l’arrivée, on a signé tard, le groupe avait déjà repris. On a été inquiet mais j’ai quand même su directement vers qui me tourner pour faire avancer le dossier. Il y a des gens qui étaient en instance d’arrivée et qui étaient déjà là de manière officieuse, on va dire. »
Un organigramme qui tarde à se mettre en place
C’est le cas du nouveau directeur sportif Reda Hammache, récemment débauché au Red Star mais qui travaillait déjà sur le projet caennais alors même qu’il était encore salarié dans le 93. « Je trouve que ça manque de classe, ce n’est pas très respectueux du travail des autres, ce sont des méthodes qui ne correspondent pas aux valeurs de notre club », souffle Jean-Baptiste. Le renvoi du coach/légende vivante du club Nicolas Seube en fin d’année finira alors de convaincre une partie des supporters que les belles promesses avaient déjà vécues. « Je ne suis pas complètement naïf, je savais que ça allait arriver, mais c’est en total décalage avec le discours qui a été fait à la reprise du club, à savoir le respect de l’ADN et de l’identité de Malherbe. Nicolas symbolisait tout ça », regrette Jean-Baptiste.
Sans qu’il soit en rien responsable de l’éviction du Steven Gerrard du Calvados, Bruno Baltazar n’a pas débarqué au club comme en pays conquis. Inconnu du grand public, ce Portugais au CV absolument bissextile paye aussi son étiquette de pièce rapportée par le clan Mbappé. « Je n’ai pas trop compris ce choix de coach mais, à mon avis, ça doit venir de Luis Campos, qui est resté très proche des Mbappé et qui possède un solide réseau », nous glisse en off l’agent d’un autre joueur caennais.
« Après, quand on reprend une boîte, c’est logique qu’on veuille s’entourer des gens de confiance, le tout étant de savoir ce qu’on défend derrière cette idée, analyse Jean-Baptiste. Est-ce qu’on défend les intérêts du club ou est-ce qu’on place les copains ? Mais au final, toutes ces interrogations ne sont que la conséquence du manque de communication des actionnaires et des dirigeants. Le fait qu’ils ne parlent pas, ça ouvre la voie à tous les fantasmes et toutes les rumeurs. On ne sait pas qui fait quoi dans ce club, on ne sait pas quels sont les objectifs. »
Tiraillé entre patience et urgence, Caen a le derrière entre deux chaises
En effet, ni Kylian Mbappé ni sa mère Fayza Lamari, que l’on a vue plusieurs fois au stade depuis le début de la saison et qui semble être le lien entre les dirigeants et son propriétaire de fils, n’ont jamais pris la parole officiellement pour dessiner les contours de leur projet. « Quand on arrive chez les gens, la moindre des choses c’est de se présenter, de dire qui on est et pourquoi on est là », explique le chroniqueur de We Are Malherbe.
Pour Jérôme Lancery, cela s’explique simplement par le timing ric-rac du rachat du club à la fin de l’été. A l’inverse du Paris FC, dont les négociations avec la famille Arnault ont été effectuées bien en amont, et qui n’a pas traîné à dévoiler les bases du projet lors d’une conférence de presse de présentation, à Caen, la communication n’a pas été au centre des premières préoccupations des nouveaux dirigeants. « De ce que j’ai compris, l’accord n’a pas été simple à trouver et le projet de rachat aurait pu capoter jusqu’au dernier moment, confie Jérôme Lancery. Finalement ça s’est fait car les planètes se sont alignées, mais dans un timing pas simple à gérer, le mercato était déjà très avancé, le championnat allait reprendre, c’est donc plus compliqué de communiquer dans ce contexte-là. »
Et si le départ prématuré de Gérard Prêcheur, installé par les Mbappé au poste de directeur technique mais dont les méthodes et le caractère n’ont pas collé avec Baltazar, n’est pas de nature à rassurer la populace, au moins le club semble avoir terminé une partie de sa mue. « Contrairement aux supporters, je suis très optimiste au sujet de ce projet, conclut Lancery. Ils ont racheté un club qui n’était pas dans les meilleures dispositions économiques, ils ont dû injecter de l’argent et rebâtir un organigramme, tout cela demande du temps. »
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Il ne faudrait quand même pas trop traîner car le temps presse. A l’heure actuelle, le club est plus proche d’une relégation en National que d’une qualif en Coupe d’Europe, comme l’avait annoncé le coach à son arrivée. Si ça peut donner des idées de punchline à Orelsan, il n’est pas certain que ça suffise à redonner le sourire au peuple Rouge et Bleu.