France

Violences conjugales : « Un choix déchirant »… Pourquoi les animaux de compagnie retardent la fuite des victimes

Nous avons tous vu (ou été) cette personne qui présente avec fierté et en 179 photographies – dont beaucoup sont pourtant très similaires – son « bébé » à la truffe humide et aux poils luxuriants. Il suffit de connaître un maître pour comprendre combien les Français sont amoureux de leur animal. Et si malheureusement, encore environ 100.000 animaux sont abandonnés chaque année en France, nombre de personnes sont prêtes à se sacrifier pour le bien-être de leur toutou ou chaton préféré.

Mais pour certaines, ce sacrifice a un coût extrêmement élevé. Chaque année, de nombreuses femmes battues sont en effet confrontées à un « choix déchirant » : dénoncer leur bourreau et prendre le risque que leur animal de compagnie soit mis en danger, ou continuer à se taire. D’après le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), les femmes battues mettent un an de plus en moyenne à dénoncer les violences dont elles sont victimes lorsqu’elles ont un animal de compagnie. Notamment parce que l’immense majorité des foyers mondiaux n’acceptent pas les animaux.

Un choix « déchirant »

« C’est un sujet très important », assure Keri Lewis, directrice générale de l’Interval House of Ottawa, une structure canadienne qui accueille les femmes victimes de violences, mais aussi leurs enfants et animaux de compagnie. « Il existe un lien bien établi entre la violence envers les animaux et la violence envers les femmes. De nombreuses femmes ne quittent pas leur partenaire violent par crainte que leurs animaux soient maltraités ou tués si elles les laissent derrière elles. Par conséquent, elles se retrouvent face à un choix déchirant : rester dans une situation dangereuse pour elles-mêmes ou abandonner leurs animaux à une personne susceptible de leur faire du mal », explique-t-elle.

Lorsque des femmes font le choix de quitter leur compagnon malgré le fait que personne ne peut prendre en charge leur animal en toute sécurité, elles s’exposent à des représailles ou à un traumatisme supplémentaire. « L’animal de compagnie d’une femme accueillie dans notre refuge a été euthanasié par la SPA [canadienne]. Une autre famille a malheureusement aussi perdu ses animaux, tués par l’homme violent qu’elle fuyait », témoigne Keri Lewis, toujours marquée par ces drames.

Des intiatives dans le monde

C’est pour cette raison que l’IFAW a monté en 2014 aux Pays-Bas, en partenariat avec un foyer d’accueil pour femmes néerlandais, un lieu où les femmes victimes peuvent être accueillies avec leurs compagnons à quatre pattes. Depuis, l’initiative est devenue une fondation indépendante nommée Mendoo. Sur son site, l’association, qui gère onze foyers pour femmes, milite pour que les animaux de compagnie soient reconnus comme « faisant partie à part entière de la famille dans les programmes d’aide aux victimes de violences conjugales ».

Au Canada, avant la création de foyers permettant d’accueillir ces compagnons, Keri Lewis se souvient du désarroi des femmes qui la contactaient. « J’ai reçu de nombreux appels de femmes qui espéraient fuir la violence mais choisissaient de rester lorsqu’elles apprenaient qu’elles ne pouvaient pas amener leurs animaux », témoigne-t-elle. Heureusement, plusieurs options existent aujourd’hui pour les femmes canadiennes. Des foyers, comme l’Interval House of Ottawa, où les victimes peuvent séjourner avec leur animal, ou des pensions pour animaux qui prennent soin d’eux le temps que les victimes de violence ne soient plus en hébergement d’urgence et puissent, donc, retrouver leurs bêtes.

Aucune option pour les Françaises

En France, l’Observatoire national des violences faites aux femmes estimait en 2022 à 373.000 le nombre de femmes qui avaient été victimes de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques ou verbales par leur conjoint ou ex-conjoint. Et nous vivons dans un pays où plus de la moitié des foyers ont un animal de compagnie.

Plus de dix ans après l’initiative de l’IFAW aux Pays-Bas, des foyers permettant aux femmes de rester près de leur animal sont nés dans d’autres pays. Mais aucun n’a vu le jour en France. Ici, les femmes qui sont accueillies en foyer doivent confier leurs animaux à des proches ou à la Société protectrice des animaux. Contactée, la SPA nous a expliqué qu’elle n’avait pas de partenariat avec des associations de protection des femmes. A ce jour, aucun projet n’est en cours.

Notre dossier sur les violences faites aux femmes

Keri Lewis appelle à ce que plus d’établissements acceptent les animaux, dans le monde comme au Canada. « Une femme nous appelle toutes les semaines en ce moment, elle cherche désespérément à obtenir une place chez nous pour pouvoir enfin quitter, avec son animal, la situation de violence dans laquelle elle vit », confie-t-elle. Les places restent donc chères outre-Atlantique, mais elles ont au moins le mérite d’exister.