France

« Je veux montrer que Raël est machiavélique »… Lydia Hadjara, ancienne « esclave sexuelle » du gourou, témoigne

Près de dix-huit ans après avoir fui Raël, elle reste profondément marquée. Sa voix chargée, au bord des larmes. « Je suis encore très instable psychologiquement, » confie la quadragénaire. Aujourd’hui, Lydia Hadjara prend la parole pour raconter son histoire. Endoctrinée par sa mère dès l’enfance, elle a passé plus de vingt ans au sein du mouvement sectaire raélien.

Lorsqu’elle a regardé le documentaire Netflix sorti début 2024 sur le mouvement, Lydia a vomi toutes ses tripes. « Les raéliens passaient pour de gentils hippies dont on n’a rien à craindre. Moi, je veux montrer à quel point Raël est machiavélique. » Pour elle, le film a totalement omis l’éléphant dans la pièce : la sexualité « omniprésente » au sein du mouvement. Dans son livre J’étais son esclave (City Editions), paru ce mercredi, Lydia Hadjara raconte, avec l’aide d’Elsa Levy, comment elle est devenue l’« esclave sexuelle » du gourou.

Endoctrinée dès l’âge de 4 ans

Pour comprendre comment elle en est arrivée là, il faut remonter des années en arrière. Sa mère intègre le mouvement alors que Lydia n’a que 4 ans. A partir de là, elle passera tous ses étés à l’Eden, le camping des raéliens situé dans le Tarn. « En tant qu’enfant, c’était magique, un peu comme Disney. Tout le monde était gentil avec moi. On me disait que j’étais merveilleuse. » A 9 ans, elle est repérée par Raël, qu’elle continue à appeler « le prophète ». « Il m’a dit que je ressemblais à un Elohim [les extraterrestres créateurs du mouvement] et qu’on serait emmené à se revoir. »

Rapidement, le tableau s’assombrit. Dans son livre, elle raconte qu’à 13 ans, un des responsables de la secte l’agresse sexuellement en lui disant qu’il la prépare pour Raël. Des violences sexuelles répétées, sous couvert d’« éducation sexuelle ». A cette époque, le mouvement prône ouvertement l’ouverture de la sexualité aux enfants.

Assouvir ses moindres désirs

A sa majorité, Lydia accède à un statut « privilégié » comme Raël l’avait prévu. Elle devient « plume rose cordon doré », un titre réservé aux plus belles femmes choisies par le chef et devant lui être entièrement dévouées. « J’ai signé un contrat qui indiquait que je n’avais le droit d’avoir des rapports sexuels qu’avec le prophète, et les Elohim quand ils viendraient sur Terre, que je n’avais pas le droit de me refuser à lui et que je ne pouvais pas parler à d’autres de mes moments intimes avec lui. » En accédant à cette position, Lydia aperçoit enfin la fierté dans le regard de sa mère. « Nous étions seulement cinq femmes sur la planète à avoir ce statut. »

A partir de ses 18 ans, Lydia dit « oui à tout ». Elle sert Raël, lui prépare à manger, fait son ménage, s’habille comme il le souhaite, perd du poids quand il le demande et assouvit ses moindres désirs sexuels, même les plus obscènes. Comme cette scène, racontée dans son livre, où il lui enfonce une fourchette dans le vagin pour vérifier sa « dévotion ». « Dans ces moments-là, mon corps était là, il en faisait ce qu’il voulait, mais mon esprit n’était plus là. »

Un déclic grâce à une serveuse

« Dans le mouvement raélien, vous êtes libre et il n’y a pas d’obligation mais chez moi, l’emprise a commencé tellement tôt qu’il m’était impossible de penser autrement. » D’autant plus que si la grande majorité des raéliens possèdent un travail et sont intégrés dans la société, Lydia, elle, décide de vivre à plein temps dans un village suisse, coupé du monde extérieur, aux côtés de Raël et de sa femme. Devenue une « esclave de luxe », elle gère l’intendance. « D’un côté, je vivais dans la profusion et tout m’était payé parce que j’étais une élue des Elohim, et on m’aimait parce que je faisais du bien au prophète. De l’autre, je ressentais un profond dégoût mais en même temps, je culpabilisais énormément de ressentir cela. »

Un jour de 2007, alors que Lydia se trouve dans un restaurant lors d’un rassemblement des « Anges » (les plus belles femmes du mouvement), elle a le déclic. Le gourou vient de la punir car elle n’avait pas assisté à une réunion l’après-midi. Assignée au bout de table, elle croise le regard d’une serveuse. « Elle m’a regardée avec un soupçon de moquerie et de médisance, comme si elle se disait « pauvre fille ». » C’est à ce moment que le cerveau de Lydia « se reconnecte ». « En une fraction de seconde, je me suis dit « ce n’est pas normal » et je suis allé vomir. » Lydia passera une dernière nuit avec Raël, « la pire de toute ».

Crises d’angoisse, dépression et cauchemars

Le lendemain, elle appelle une ancienne connaissance rencontrée en boîte de nuit. Quelques heures plus tard, sa voiture est là. Lydia attrape son sac à main et s’enfuit. « Les mois qui ont suivi ont été horribles. J’étais totalement déconnectée de la réalité et je me sentais extrêmement seule et perdue. »

Près de dix-huit ans après, deux enfants, et une vie plus tard, Lydia est encore hantée par ses souvenirs avec Raël. « Je revois son regard malsain, je revis les scènes. Mes cauchemars sont tellement violents que je dois toucher le sol et les murs de ma chambre pour me ramener à la réalité. » Crises d’angoisse, dépression… La mère de famille enchaîne les séjours en unité psychiatrique, shootée aux médicaments. Aujourd’hui, elle déplore une vie sentimentale et sexuelle « chaotique ». « Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse m’aimer pour autre chose que mon aspect sexuel. »

« Le but, c’est de ne pas avoir vécu ça pour rien »

Si elle a choisi de dévoiler son histoire, c’est avant tout pour aider les autres. « Le but, c’est de ne pas avoir vécu ça pour rien. Je veux faire comprendre aux victimes de mouvements sectaires qu’elles ne sont pas seules et que ce n’est pas à elles d’avoir honte. J’aimerais aussi expliquer aux gens ayant un proche dans une secte qu’il ne faut pas le lâcher. Si je peux sauver ne serait-ce qu’une seule personne, ce sera gagné. »

Il arrive encore parfois à Lydia de douter. « Quand je ne vais pas bien, je peux me dire : « Mais ma petite ce n’est pas bien ce que tu fais, tu as tout gâché et tu fais du mal au mouvement. » » Il faut dire qu’elle a mis près de seize ans à comprendre qu’elle avait été victime d’emprise.

Notre dossier secte

Aujourd’hui, la mère de famille réfléchit à porter plainte. Car Raël est toujours en liberté. Il habiterait au Japon et aurait de plus en plus d’adeptes en Asie et en Afrique. « Je me demande comment, avec tout ce qu’il a fait, il peut avoir autant de chance et vivre encore sa meilleure vie ». Elle l’avoue, elle en arrive à se demander si ce n’est pas la preuve qu’il est bien le nouveau prophète.