Des présidents de parti bientôt aussi ministres? « Oui, il vaut mieux que les vrais décideurs soient autour de la table », estime Marc Uyttendaele
Tous les présidents de parti qui négocient l’Arizona (N-VA, MR, Les Engagés, CD&V, Vooruit) devraient participer au futur gouvernement fédéral. Telle est l’invitation que formulait il y a quelques jours le président du MR Georges-Louis Bouchez à l’adresse de ses collègues. Son argument : garantir l’efficacité de l’exécutif en ces temps de crises, en propulsant ministres ceux qui ont négocié l’accord gouvernemental. Bonne ou mauvaise idée ? « La Libre » a posé la question à Marc Uyttendaele, constitutionnaliste et professeur à l’ULB.
- Publié le 14-01-2025 à 06h42
Sur le plan constitutionnel, que pensez-vous de l’idée de faire monter les présidents de parti dans l’exécutif ?
C’est tout sauf la culture locale. Mais en même temps, on a parfois eu des résultats analogues avec des trompe-l’œil, c’est-à-dire avec des présidents de parti qui n’étaient pas choisis pour leur puissance mais pour leur fidélité ou leur docilité par rapport à celui ou celle qui montait au gouvernement. Ils tiennent la maison de manière administrative et ne vont pas peser dans le débat politique contre celui ou celle qui est l’homme ou la femme forte et qui siège au gouvernement. En miroir, aussi, on a vu lors de la précédente législature que certains ministres avaient peu d’autonomie au sein de l’exécutif, et que cela compliquait dès lors le processus décisionnel. Cette solution-là n’est par conséquent pas parfaitement harmonieuse non plus. En réalité, il faut se demander où sont les hommes ou les femmes de paille. S’ils sont au gouvernement et qu’ils ne peuvent bouger le petit doigt qu’après avoir reçu l’onction de leur président de parti, c’est catastrophique pour une gestion efficace des affaires publiques. Et à ce moment-là, il vaut mieux en effet que les vrais décideurs soient autour de la table.
Voulez-vous dire par là que vous n’êtes pas opposé au principe même d’embarquer les présidents de parti dans le gouvernement ?
C’est exact, je n’y suis pas opposé. La réalité en Belgique, c’est le poids significatif des présidents de parti. On peut le déplorer, mais c’est la réalité politique du pays. Et une équipe forte, c’est une équipe où le vrai pouvoir décisionnel est attribué à ceux qui sont autour de la table. C’est d’ailleurs le cas dans d’autres régimes politiques. En Grande Bretagne, par exemple, c’est le patron du parti qui est au pouvoir qui devient Premier ministre. Au Canada, Justin Trudeau démissionne et qu’annonce-t-il ? Qu’il démissionnera de son poste de Premier ministre lorsqu’il aura été remplacé comme leader de son parti (Parti libéral du Canada, NdlR). Ce n’est donc pas incongru. Alors, on pourrait dire que cela a plus de sens quand il n’y a qu’un parti au pouvoir ? Pas forcément, justement, car le processus décisionnel est encore plus compliqué quand il y en a plusieurs.
J’émettrais toutefois une réserve : si les présidents de parti deviennent ministres, alors il n’y a plus de recours aux « belles-mères ». Or on sait que lorsqu’il y a un nœud au sein de l’exécutif, il n’est pas inutile de prendre un peu d’oxygène et de retourner discuter avec les pères et mères de l’accord de gouvernement.
D’aucuns redoutent que cette formule (le cumul des fonctions de président de parti et de ministre) empêche le parlement de jouer son rôle de contre-pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
Cela n’a pas de sens, il ne faut pas tout confondre. Mais à la rigueur, on met là le doigt sur quelque chose – qui est une maladie de gouvernance – c’est la partici-opposition. C’est tellement plus facile quand le président de parti n’est pas aux affaires. Et Georges-Louis Bouchez, l’auteur de la présente proposition, l’a fait activement durant la Vivaldi. Cela fait des paradoxes ironiques de la vie politique belge. Le président du MR est sur ce point exactement dans la droite ligne d’Écolo depuis les années 2000 : on est au pouvoir, mais on n’y est pas vraiment. On est au pouvoir, mais on conteste. On est au pouvoir, mais on prend le contre-pied. Tout cela affaiblit l’action gouvernementale car ce n’est pas un vrai travail d’opposition. Le travail d’opposition, il appartient au parlement, à l’opposition, il n’appartient pas à la majorité. Et s’il a un problème de majorité, il appartient à ce moment-là au groupe parlementaire de la majorité de le faire entendre. Quoi qu’il en soit, la formule proposée ici par Bouchez n’est peut-être pas la meilleure mais ne doit pas être récusée d’emblée. L’idée – a fortiori dans une période budgétaire compliquée – n’est pas absurde, notamment pour limiter les débats stériles.