Dave Sinardet : « Président de parti et vice-Premier à la fois? Ce cumul me gêne, il faut tenir une certaine hygiène démocratique dans ce pays »
Tous les présidents de parti qui négocient l’Arizona (N-VA, MR, Les Engagés, CD&V, Vooruit) devraient participer au futur gouvernement fédéral. Telle est l’invitation que formulait il y a quelques jours le président du MR Georges-Louis Bouchez à l’adresse de ses collègues. Son argument : garantir l’efficacité de l’exécutif en ces temps de crises, en propulsant ministres ceux qui ont négocié l’accord gouvernemental. Bonne ou mauvaise idée ? « La Libre » a posé la question à Dave Sinardet, Professeur de sciences politiques à la VUB et à l’UCLouvain Bruxelles.
- Publié le 14-01-2025 à 06h42
- Mis à jour le 14-01-2025 à 06h43
Vous vous dites favorable à l’idée de faire monter les présidents de parti au gouvernement. Pour quelles raisons ?
Oui, j’y suis favorable tout en émettant quelques réserves. Je m’explique. Quoi que l’on en dise, les présidents de parti sont les figures qui ont aujourd’hui le plus de pouvoir sur la scène politique belge. On le sait, ce sont eux qui négocient l’accord de gouvernement mais, ensuite, ils ne deviennent pas ministres. Dans l’ombre, ils restent pourtant les figures dominantes tandis que certains vice-Premiers n’ont finalement que peu de poids, de marge de manœuvre pour prendre des décisions au nom de leur parti au sein de l’exécutif. À titre d’exemple, ce fut le cas au sein de la Vivaldi lorsque Pierre-Yves Dermagne (PS) devait fréquemment en référer à Paul Magnette, son président de parti. Idem entre David Clarinval (MR) et son président Georges-Louis Bouchez. Déjà au temps du pacte d’Egmont les présidents de parti éclipsaient le gouvernement.
C’est pourquoi, je vois plutôt d’un bon œil cette idée de propulser au gouvernement les présidents de parti car je pense que cela permettrait d’assurer une meilleure cohésion fédérale. En étant à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur, ceux qui ont négocié l’accord de gouvernement porteraient en principe beaucoup plus la responsabilité de celui-ci et en défendraient mieux les intérêts. Georges-Louis Bouchez, l’auteur de cette proposition, est peut-être la meilleure illustration de ce phénomène puisqu’il a lui-même fortement miné la coalition Vivaldi en critiquant depuis l’extérieur certaines décisions qui avaient pourtant été prises avec son aval, ou en tout cas avec l’aval de son parti.
Quelles sont dès lors les réserves que vous émettez ?
Ce qui me gêne profondément, c’est l’idée que celui qui devient vice-Premier puisse demeurer dans le même temps président de parti. Ce cumul me semble fondamentalement problématique. Le président de parti doit veiller aux intérêts de son parti, le vice-Premier à ceux du gouvernement (même si, de facto, il représente aussi son parti au sein du gouvernement). Il ne faut donc certainement pas lier les deux fonctions. Dans les faits, toutefois, on sait très bien que si les présidents de parti deviennent ministres et renoncent au gouvernail de leur parti, il y a de fortes probabilités qu’ils soient remplacés par une sorte de marionnette, c’est-à-dire par quelqu’un qui gère la maison de manière administrative mais qui n’a pas ou peu de pouvoir. Souvenez-vous du cas d’Olivier Chastel au MR ou de Thierry Giet au PS. Ils ont tous les deux occupé à un moment donné la présidence de leur parti, mais tout le monde savait que le vrai patron, c’était Charles Michel pour le premier et Elio Di Rupo pour le second.
Suivant votre raisonnement, ne vaut-il mieux pas alors assumer pleinement l’idée d’un cumul des deux fonctions ?
Non, je ne le crois pas car si on ouvre la porte à ce genre de raisonnement, c’est sans fin. Pour le dire en boutade, on pourrait alors en arriver au raisonnement que parce que la Belgique est une particratie, on peut abolir le parlement puisqu’il a peu de pouvoir en pratique.
Dans le même registre, je trouve que le principe même des bourgmestres « empêchés » en Belgique est en soi un problème. Je suis dès lors convaincu que l’on ne doit pas encore plus légitimer cette logique particratique en adaptant les réalités à la logique officieuse déjà à l’œuvre… Ne fût-ce que pour tenir une certaine hygiène démocratique dans ce pays.