Immobilier : « L’interdiction de louer les logements classés G génère une forme de marché sous le manteau »
C’est LA mesure qui crispe les propriétaires. Depuis le 1er janvier 2025, les logements classés G au Diagnostic de performance énergétique, considérés comme énergivores et indécents au regard de la loi Climat et Résilience, ne sont plus autorisés à la location.
20 Minutes a interrogé Corinne Jolly, présidente du site PAP (Particulier à particulier), qui dénonce une loi « mal faite » et constate un « agacement » des propriétaires sur le sujet.
Quel est l’état d’esprit global des propriétaires de logements classé G face à l’interdiction de louer ces derniers depuis le 1er janvier ?
Le sujet de la rénovation énergétique et des passoires thermiques est un sujet sur lequel on a de plus en plus de questions. L’état d’esprit général des propriétaires, c’est un fort agacement, et ils sont perdus. Certains envisagent de vendre, mais ce n’est pas du tout la majorité, qui est plutôt attentiste. La loi n’étant pas réaliste, la plupart préfère en effet attendre pour le moment, quitte à retirer le bien du marché locatif officiel pour le louer à une connaissance, et être ainsi sûr de ne pas avoir de problème. Cela génère une forme de marché sous le manteau.
On parle de combien de logements ?
Les chiffres varient entre 600.000 et 800.000, mais c’est plutôt 600.000, sachant que seuls les logements remis en location à partir du 1er janvier sont concernés [par cette interdiction], pas ceux dont le bail est en cours. Personne ne veut retirer ces logements du parc, car tout le monde a conscience qu’on est sur un marché locatif ultra-tendu.
Concrètement, que risque un propriétaire qui mettrait quand même un logement classé G en location ?
Déjà, il ne risque rien si son locataire ne l’attaque pas. Or des locataires qui attaquent les propriétaires, c’est extrêmement rare. On en a l’expérience avec l’encadrement des loyers, où les plaintes sont très rares alors que les dépassements des montants de loyers sont nombreux. On sait que les locataires, qui galèrent déjà à trouver des logements, ne sont pas hyper enthousiastes à l’idée d’attaquer leur propriétaire. Donc le risque pour le propriétaire est faible.
D’autant plus qu’il y a encore des discussions sur un éventuel assouplissement du calendrier d’application, et la situation va peut-être évoluer d’ici un mois ou deux. Je rappelle d’ailleurs que ce n’est pas la première interdiction à tomber puisque en 2023, les logements classés G + avaient déjà été interdits à la location. Cela représente quand même 150.000 logements. Et que s’est-il passé depuis ? Pas grand-chose.
Vous ne constatez donc pas un phénomène massif de propriétaires qui « bazardent » leurs biens ?
Non, car il y a quand même une logique dans l’immobilier qui est patrimoniale, et bazarder le patrimoine, ce n’est pas simple. Quand des particuliers ont réussi dans leur vie à acheter quelques biens pour de l’investissement locatif, c’est en général dans une optique de transmission. En revanche, cette réforme contribue de manière générale au sentiment qu’il y a un acharnement sur les propriétaires depuis quelques années.
D’un autre côté, il existe aussi des propriétaires qui abusent, louent des biens indignes, et c’est quand même bien l’objectif de cette loi que de lutter contre l’habitat indécent ?
Il ne faut pas mélanger les deux. Un logement G n’est pas nécessairement un taudis, loin de là, et il existe des taudis qui ne sont pas G. Mais la loi Climat et Résilience a effectivement rajouté comme critère au logement indécent le fait qu’il soit classé G, créant de fait un amalgame avec le taudis.
Je remarque aussi que la loi pour ces logements G ne s’applique qu’aux propriétaires bailleurs, c’est-à-dire ceux qui louent, pas aux propriétaires occupants. Or, ces derniers ne considèrent pas qu’ils habitent dans un taudis. Les chiffres montrent d’ailleurs qu’ils ne font pas davantage de travaux de rénovation énergétique dans leur logement alors qu’ils y habitent. Pourquoi ? Parce que c’est cher, parce que c’est compliqué, et que ça n’en vaut pas forcément le coup.
Combien coûte en moyenne une rénovation énergétique ?
C’est très variable, mais le véritable problème est que pour les travaux les plus coûteux et les plus compliqués – l’isolation et le système de chauffage –, les propriétaires n’ont pas toutes les cartes en mains pour prendre des décisions.
Je prends l’exemple du chauffage. En maison, la pompe à chaleur a globalement emporté le débat, mais en appartement, c’est plus compliqué. Faut-il privilégier la chaudière gaz à condensation, ou le chauffage électrique, issu d’une énergie décarbonée – le nucléaire – mais pénalisé dans les diagnostics de performance énergétique (DPE) ? Est-ce que ce sera toujours le cas dans trois ans ? Personne ne le sait.
Surtout, concernant les appartements en copropriété, il faudrait que ces travaux s’effectuent sur l’ensemble de l’immeuble, car si ce dernier est G, vous pouvez faire tous les travaux que vous voulez dans votre appartement, cela ne changera rien. Or, les DPE collectifs des immeubles ne seront obligatoires qu’à partir de 2026. Je reste persuadée qu’il aurait fallu les prioriser face aux DPE individuels des appartements, et c’est pour cela que je dis que la loi est mal faite.
Bref, il ne va pas se passer grand-chose dans les prochains mois concernant ces appartements G en location ?
Sans doute pas. Nous conseillons néanmoins aux propriétaires qui louent un logement G, ce qui veut dire que leurs locataires ont des factures d’énergie en moyenne 20 % plus chères qu’un F, de prendre en charge le surcoût de cette facture énergétique. Cela nous semble une solution de bon sens, équitable, dans l’attente que le propriétaire y voit plus clair. Et un locataire qui obtient cela n’attaquera jamais son propriétaire.