Le Pen et la torture durant la guerre d’Algérie, révélations macabres sur son passé de tortionnaire
Jean-Marie Le Pen, figure sombre et honteuse de l’histoire coloniale française, s’est éteint le 7 janvier dernier à l’âge de 96 ans. Le décès du fondateur du Front National et représentant de l’extrême droite française a suscité des réactions contrastées. Tandis que ses partisans exprimaient leur chagrin, d’autres célébraient ouvertement sa disparition.
Au-delà des émotions partagées, cette mort a ravivé un passé sombre et douloureux : celui des crimes et des actes de torture imputés à Le Pen pendant la guerre d’Algérie. Accusé d’avoir participé à la torture d’algériens durant la bataille d’Alger, l’homme politique a toujours nié ces faits. Pourtant, les travaux de nombreux historiens spécialisés ont accumulé des preuves accablantes et des témoignages inédits à son encontre.
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Un nouveau rebondissement vient cependant relancer le débat. Le journal Le Monde a publié, ce vendredi 10 janvier 2025, des aveux inédits datant de décembre 2019. Dans ces déclarations, Jean-Marie Le Pen reconnaît avoir pris part aux actes de torture perpétrés par l’armée française en Algérie, précisant : « Je le fais sous les ordres de mon capitaine. »
Pratique de la torture durant la guerre d’Algérie : Le Pen passe aux aveux !
Ces révélations posthumes viennent jeter une lumière crue sur un pan de l’histoire coloniale française, rappelant les horreurs de la guerre d’Algérie et les responsabilités qui, jusqu’alors, restaient déniées par l’un des hommes politiques les plus polémiques de son époque.
« Jamais Le Pen ne varie. Jusqu’à ce jour de décembre 2019, à son domicile de Rueil-Malmaison, où il renoue avec son aveu de 1962 : « Moi je trouve ça tout à fait normal, naturel, que l’on extorque le renseignement de tueurs organisés, qui frappaient aveuglément dans les restaurants, les bals, avec des bombes. Il manquait plus que ça, qu’ils lèvent le doigt en disant : “Et les droits de l’homme ?” Ben oui, mais vous ne les respectez pas les droits de l’homme, donc on va vous appliquer vos méthodes. Le type doit vous dire où sont les bombes, c’est lui qui va fixer la durée de son supplice. On ne fait pas ça par plaisir. S’il parle, son malheur s’arrête. », lit-on dans l’article
« Après un silence d’outre-tombe, le vieil homme, parfaitement conscient de la portée de ses propos, finit par reconnaître : « Je le fais sous les ordres de mon capitaine. On prend les risques qui sont liés à la guerre. », révèle encore le méme journal.
Cet entretien, réalisé par Le Monde en décembre 2019, n’a été publié que ce vendredi 10 janvier 2025, au lendemain du décès de Jean-Marie Le Pen. Ce témoignage posthume vient raviver les débats autour de son rôle durant la guerre d’Algérie, confirmant une fois de plus son absence de repentir face aux pratiques de torture qu’il justifiait au nom des nécessités militaires.
Des « aveux » de #LePen de torture en Algérie ont été receuillis par @lemondefr en 2019 et sont publiés seulement aujourd’hui. Quelques remarques à chaud. https://t.co/PNszIdTqRn
— Fabrice Riceputi (@campvolant) January 10, 2025
Le poignard de Le Pen : retour sur la torture et l’assassinat d’Ahmed Moulay
D’après Le Monde, Jean-Marie Le Pen, ancien parachutiste du 1ᵉʳ régiment étranger de parachutistes (REP) de la Légion étrangère, avait reconnu en novembre 1962 dans le journal Combat : « Je n’ai rien à cacher, j’ai torturé parce qu’il fallait le faire ». Par la suite, il avait systématiquement nié ces accusations, malgré une accumulation de preuves au fil des décennies.
Les témoignages de victimes, recueillis dès le début des années 1980 par Le Canard enchaîné et Libération, ont jeté les premières lueurs sur son rôle. Puis, en 2002, une enquête du journal Le Monde a révélé un élément accablant : un poignard gravé au nom « J.-M. Le Pen, 1ᵉʳ REP », laissé sur les lieux de l’assassinat d’Ahmed Moulay, torturé et assassiné par des parachutistes en 1957.
Cette affaire dramatique a été mise en lumière par Mohamed Moulay, fils d’Ahmed, qui avait 12 ans au moment des faits. Le 3 mars 1957, une patrouille d’une vingtaine de parachutistes, conduite par un homme décrit comme « grand, fort et blond », que ses hommes appelaient « mon lieutenant », a fait irruption dans la résidence familiale des Moulay à la Casbah d’Alger. Cet homme se révélera plus tard être Jean-Marie Le Pen.
Ahmed Moulay, 42 ans, a été soumis à des séances de torture sous les yeux de sa femme et de ses six enfants. Les parachutistes ont utilisé les techniques du supplice de l’eau et de l’électricité pour tenter de lui arracher les noms de son réseau du FLN. Malgré ces heures de calvaire, Ahmed Moulay a refusé de parler et en mourra.
Procès contre Le Pen : une pièce à conviction précieuse !
À l’aube, après avoir quitté la maison, Jean-Marie Le Pen a oublié sur place un poignard, un couteau des Jeunesses hitlériennes fabriqué dans la Ruhr dans les années 1930. Sur le fourreau, l’inscription « J.-M. Le Pen, 1ᵉʳ REP » apparaissait clairement. Mohamed, alors enfant, a trouvé et caché l’arme dans le placard du compteur électrique, sans comprendre pleinement la portée de son geste.
Les jours suivants, Le Pen et ses hommes sont revenus pour fouiller la maison, cherchant désespérément à récupérer le poignard. Mais Mohamed a gardé le silence. Devenu adulte, il a conservé l’arme pendant quarante ans. En 2003, il a confié cette pièce à conviction à une envoyée spéciale du Monde à Alger.
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Le poignard a joué un rôle clé dans le procès pour diffamation intenté par Jean-Marie Le Pen contre le journal Le Monde. Ce procès, ainsi que les recours en appel et en cassation, se sont tous soldés par des défaites pour le leader du Front National.
Ce poignard, symbole des atrocités commises pendant la guerre d’Algérie, restera une pièce emblématique, rappelant une période sombre de l’histoire coloniale française et le rôle controversé de Jean-Marie Le Pen dans ces événements tragiques.
Jean-Marie Le Pen et la torture : l’historien Fabrice Riceputi dévoile une enquête accablante !
En janvier 2024, l’historien Fabrice Riceputi, chercheur associé à l’Institut d’Histoire du Temps Présent, a publié un ouvrage majeur intitulé « Le Pen et la torture, Alger 1957, l’histoire contre l’oubli ». Ce livre rassemble pour la première fois un dossier historique complet, révélant des faits accablants sur le rôle de Jean-Marie Le Pen, alors jeune député et engagé volontaire, dans les pratiques de torture pendant la guerre d’Algérie.
L’ouvrage de Riceputi s’appuie sur un large éventail de sources, incluant des récits de victimes, des témoignages de témoins directs, des rapports de police, des enquêtes journalistiques et des archives militaires. Avec une approche méthodique, l’historien examine la crédibilité des accusations et des tentatives de dédouanement entourant celui qui allait fonder le Front National. À travers une reconstitution précise des événements, il met en lumière les racines idéologiques colonialistes d’un homme dont l’héritage continue de hanter l’histoire contemporaine.
En 1956, Jean-Marie Le Pen débarque à Alger en tant que volontaire dans le 1ᵉʳ régiment étranger de parachutistes. Il participe activement à la bataille d’Alger, une opération militaro-policière brutale visant à écraser le nationalisme algérien. Les questions sur son implication directe dans la torture émergent rapidement. Si Le Pen revendique d’abord ces pratiques à son retour en France, il changera de posture dès ses premiers succès électoraux, n’hésitant pas à attaquer en justice quiconque évoquerait ce passé.
À travers ce livre, Riceputi rappelle que les actes de torture et les exactions commises pendant la guerre d’Algérie ne relèvent pas seulement du passé. Ils constituent une page sombre de l’histoire française dont les échos résonnent encore aujourd’hui, alors que certains idéaux politiques liés à cette époque continuent de hanter la scène publique.
En librairie le 19 janvier 2024.
L’ensemble du dossier historique (témoignages, archives, enquêtes) rassemblé et analysé pour la première fois. pic.twitter.com/aDZ3TPIZxt— Fabrice Riceputi (@campvolant) November 30, 2023
Témoignage poignant d’Abdennour Yahiaoui
Récemment, Fabrice Riceputi a partagé sur son compte Twitter l’un des nombreux témoignages inclus dans son enquête. Celui d’Abdennour Yahiaoui, arrêté le 8 mars 1957 par des hommes du 1ᵉʳ régiment étranger de parachutistes, illustre l’horreur des pratiques imputées à Le Pen. Yahiaoui fut l’un des deux plaignants qui précipitèrent le départ de Jean-Marie Le Pen d’Alger le 31 mars 1957, caché dans une ambulance, quinze jours avant la fin de son contrat.
Cette nuit-là, les paras recherchaient un de ses cousins. Sous la contrainte, un membre de la famille avait révélé son nom. « Ils sont arrivés peut-être vers minuit », raconte-t-il, se remémorant les instants où sa famille a été brutalisée avant qu’ils ne l’emmènent à leur base.
Là, les tortures ont commencé : des décharges électriques, des coups, et l’isolement dans des fosses creusées à même le sol. Ces « tombeaux », selon ses mots, étaient sombres, étroits et surplombés de grillages métalliques. Les interrogatoires, menés principalement par un certain lieutenant Le Pen, étaient d’une brutalité extrême. « Chaque soir, c’était la même chose : la gégène, le tuyau d’eau, les coups… ». Malgré les souffrances infligées, Yahiaoui a refusé de révéler quoi que ce soit concernant son cousin ou ses activités.
Des témoignages contre l’oubli…
Dans son témoignage, il décrit avec précision les techniques de torture utilisées : le passage à la baignoire, où les victimes étaient maintenues la tête sous l’eau, les coups de nerf de bœuf qui laissaient des hématomes sur tout le corps, et même des mutilations comme des coupures aux bras. Ces blessures, dit-il, étaient infligées de manière répétée, et parfois, ses bourreaux allaient jusqu’à lui raser la tête avant de lui faire manger ses propres cheveux.
Malgré les souffrances indicibles qu’il a endurées dans les geôles françaises, Yahiaoui a finalement recouvré la liberté, portant en lui les cicatrices physiques et psychologiques de cette époque sombre. Son témoignage, à l’instar de nombreux autres anciens détenus, continue de faire lumière sur les pratiques inhumaines perpétrées par l’armée française. Si Jean-Marie Le Pen a longtemps nié ou minimisé son rôle, les récits des suppliciés comme Yahiaoui sont autant de preuves vivantes qui confrontent le silence et l’oubli.
L’un des 15 témoignages de victimes directes du tortionnaire Le Pen, Abdennour Yahiaoui, qui porta l’une des deux plaintes qui provoquèrent le départ précipité d’Alger de Le Pen le 31 mars 1857, 15 jours avant la fin de son contrat, caché dans une ambulance. 1/3 pic.twitter.com/0G2fYAnHSS
— Fabrice Riceputi (@campvolant) January 8, 2025