C’est quoi cet imbroglio autour de l’influenceur algérien Doualemn, expulsé de France, mais refoulé dans son pays
Un aller-retour express. Ainsi pourrait-on résumer la journée de jeudi de l’influenceur algérien Boualem N., surnommé « Doualemn » sur les réseaux sociaux. Cet homme de 59 ans a été expulsé en début d’après-midi vers l’Algérie d’où il est originaire mais le pays a refusé de l’accueillir, précisant qu’il était « interdit de territoire ». Résultat : il a fait le chemin inverse dans la soirée.
A son arrivée en France, il a été conduit au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne. « L’Algérie cherche à humilier la France », a estimé ce vendredi le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en marge d’un déplacement à Nantes. Retour sur cet imbroglio diplomatico-judiciaire en trois actes.
Acte I : L’analyse dissonante du parquet et de la préfecture
Tout est allé extrêmement vite dans ce dossier. Doualemn a été interpellé dimanche à Montpellier, accusé d’avoir publié sur TikTok une vidéo appelant, en arabe, à la torture d’un opposant au régime algérien. Mardi, le procureur de la République a annoncé qu’il serait jugé le 24 février pour « provocation à commettre un crime ou un délit », sans pour autant le placer en détention provisoire ni même sous contrôle judiciaire. Le magistrat a notamment précisé que des traductions de la vidéo « réalisées par deux interprètes expertes » établissaient qu’il n’avait pas utilisé les mots « tuez-le » mais qu’il appelait à « une sévère correction ».
Mais au lendemain de sa mise en examen, coup de théâtre : la préfecture de l’Hérault annonce avoir décidé de lui retirer son titre de séjour avec « placement immédiat dans un centre de rétention administrative en vue de son éloignement ». Le mis en cause, qui ne possède pas la double nationalité avait, depuis 2010, un titre de séjour et résidait donc de manière régulière en France. La préfecture justifie sa décision par le fait que « les provocations publiques à commettre un crime ou un délit et légitimant la torture constituent des menaces graves à l’ordre public ».
Acte II : Une expulsion express et un retour plus rapide encore
Alors que son avocat annonce faire appel de cette décision, le ministre de l’Intérieur prend un arrêté d’expulsion en urgence. Ainsi, dès jeudi, Doualemn se retrouve sur le tarmac de l’aéroport de Roissy, entouré de deux agents de la police aux frontières. « Dans cette affaire-là, nous n’avions pas besoin d’un laissez-passer consulaire puisqu’il a un passeport en règle, son identité est donc parfaitement établie », indique-t-on dans l’entourage du ministre. L’avocat de l’influenceur, lui, dénonce une volonté de court-circuiter l’appel.
Mais à peine arrivé sur place, Doualemn et les deux policiers sont contraints de faire demi-tour. Depuis 2008, l’Algérie s’est dotée d’une loi permettant de refuser l’entrée sur le territoire à ses ressortissants s’ils représentent une « menace ». « Nous n’avons pas eu la moindre explication, nous ne savons toujours pas l’origine de cette décision », insiste cette même source. Et de préciser que l’an dernier, 1.700 Algériens ont été reconduits, « un record historique », sans que cela pose de difficultés.
Acte III : Place à la diplomatie
« C’est désormais un problème diplomatique », précise-t-on à l’Intérieur. Des négociations vont être engagées entre Paris et Alger pour tenter de débloquer la situation. Mais ces derniers mois, les relations entre les deux pays sont pour le moins houleuses. Depuis novembre et l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, elles sont mêmes glaciales. Et cette nouvelle affaire ne risque pas d’apaiser la situation. « On a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant », a estimé le ministre de l’Intérieur ce vendredi.
En attendant, la situation de l’influenceur Doualemn est au point mort. Inexpulsable mais désormais en situation irrégulière. La durée de sa rétention ne peut excéder 90 jours. Il devrait vraisemblablement y rester jusqu’à son procès, le 24 février.