Etats-Unis : Histoire commune, commerce, armée… Voici pourquoi Donald Trump aimerait bien annexer le canal de Panama
Plus de cent ans après l’achèvement de sa construction et un quart de siècle après sa cession au pays éponyme, le canal de Panama continue d’obséder l’Amérique. En tout cas, l’Amérique de Donald Trump. Mardi, le président élu des Etats-Unis a réitéré son désir d’annexer cette construction iconique, qui appartient pourtant au Panama. Pire encore, le républicain a ajouté qu’il ne pouvait pas « assurer » qu’il n’emploierait pas la force armée dans l’optique de la récupérer.
Pour comprendre ces déclarations, il faut d’abord « prendre en compte l’histoire du canal, glisse Virginie Saliou. Si sa construction a débuté avec des Français, elle a rapidement été reprise en 1902-1903 par les Etats-Unis, qui l’ont terminé en 1914. » Non seulement le canal a été construit par les Américains, ce qui entretient leur légitimité quand il s’agit d’affaires le concernant, mais en plus « il s’inscrit dans la doctrine Monroe, selon laquelle les Etats-Unis ont une forme de pré carré, de contrôle sur l’Amérique latine », explique la chercheuse en sécurité maritime à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem) et enseignante à Sciences Po Rennes.
« Protéger deux façades » éloignées de 4.500 km
L’existence du canal est donc intrinsèquement liée aux Etats-Unis, mais pas seulement. C’est aussi le cas de l’existence même du pays. « A l’origine, le Panama était une province d’un pays appelé la Grande Colombie, et ils sont devenus indépendants à la fin grâce au soutien des Etats-Unis. Le pays existe donc en grande partie grâce à Washington », contextualise Sylvain Domergue, docteur agrégé en géographie et géopolitique, enseignant à Science Po Bordeaux et spécialiste des enjeux maritimes.
Une proximité historique qui n’excuse toutefois pas les propos de Donald Trump et, comme l’a rappelé le chancelier allemand Olaf Scholz ce mercredi, « le principe de l’inviolabilité des frontières s’applique à tout pays ». A l’origine, « les Etats-Unis étaient intéressés par le canal pour obtenir une capacité de déploiement et de redéploiement de leur flotte militaire. Le pays est confronté à une géographie où il faut protéger deux façades, et donc avoir une marine capable de passer de l’une à l’autre rapidement », explique Sylvain Domergue. C’est pour cette raison que lorsque le président Jimmy Carter accepte en 1977 de céder le canal au Panama (vingt-deux ans plus tard), il négocie un droit de passage prioritaire pour l’US Navy. Mais ce privilège ne s’applique pas aux navires marchands, même sous pavillon américain.
Des Etats-Unis aux Etats-Unis (via le Panama)
Or aujourd’hui, les intérêts américains sont moins militaires que commerciaux. « A l’échelle mondiale, le canal ne représente que 5 à 6 % du commerce maritime. Toutefois, une large part du trafic ne se fait pas entre l’Asie et l’Amérique comme on pourrait l’imaginer, mais entre les côtes est et ouest des Etats-Unis ! », explique Virginie Saliou. « Environ un quart du commerce qui passe par le canal de Panama a pour origine un point du territoire américain et se rend vers un autre point du territoire américain », abonde Sylvain Domergue.
« A l’intérieur des Etats-Unis, les infrastructures de transport terrestre sont particulièrement défaillantes. Il y a très peu de trains et c’est extrêmement cher par la route », souligne-t-il. Plutôt que de s’échiner à traverser 4.500 kilomètres pour traverser le pays dans sa largeur, plus encore en contournant les montagnes Rocheuses au milieu, les transporteurs font donc le choix du canal de Panama. Pour toutes ces raisons, c’est aussi vrai pour les exportations américaines.
La Chine en ligne de mire
Et cette artère essentielle à l’économie américaine ne risque pas de perdre en importance ces prochaines années. D’ici à 2040, la Federal Highway Administration (agence du département des Transports des Etats-Unis) prévoit une augmentation de 30 % du transport de marchandises aux Etats-Unis. Pour Donald Trump, qui avait entamé une guerre commerciale féroce avec la Chine lors de son premier mandat, c’est aussi une façon d’avertir Pékin. « La Chine est le second utilisateur du canal de Panama, et elle investit massivement sur les questions portuaires dans le monde », note Virginie Saliou.
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L’Empire du milieu est en effet très implanté au Panama. « La première chose que l’on voit quand on arrive dans le pays, ce sont des publicités en chinois. Elle investit massivement depuis des années. L’acteur visé par Trump, c’est la Chine », assure Sylvain Domergue. C’est donc un avertissement pour la Chine mais aussi un signal envoyé au Panama, car Donald Trump adore utiliser toutes les cartes qu’il possède pour faire plier ses adversaires avant même le début des négociations. Bien plus qu’une invasion, le pays d’Amérique centrale risque de subir une pression démentielle pour baisser le prix de ses passages pour les navires américains durant la présidence qui s’annonce.