Mort de Jean-Marie Le Pen : Était-il un Donald Trump avant l’heure ?
A part la blondeur de leur descendance respective, rien ne semble lier Donald Trump et Jean-Marie Le Pen de l’extérieur. Pourtant, bien avant la fulgurante ascension du 46e président américain élu, la figure de l’extrême droite française appliquait déjà la formule populiste qui séduit aujourd’hui tant d’électeurs en Europe et outre-Atlantique.
En y regardant de plus près, Jean-Marie Le Pen « faisait déjà du Trump avant Trump », constate le journaliste et auteur du Testament du diable : les derniers secrets de Jean-Marie Le Pen, Azzeddine Ahmed-Chaouch. Un refrain obsessionnel sur l’immigration et les étrangers, une gestuelle théâtrale et un verbe provocateur, une certaine fascination pour les dirigeants autoritaires… Petit passage en revue des caractéristiques que l’on retrouve chez les deux tempétueux hommes politiques.
Une communication verbale et corporelle à l’outrance
Face aux longs discours et débats argumentés de ses opposants politiques, le style Jean-Marie Le Pen détonnait. Son goût pour le mot choc qui va faire parler lui a permis de devenir, au fil du temps, un incontournable de la scène politique. Quand les médias rechignaient à lui tendre le micro, refusant de se faire le relais de ses outrances (punies par la loi), « il a compris la puissance du buzz médiatique, de la petite phrase, profitant du peu de temps de parole qu’on lui offrait », analyse Azzeddine Ahmed-Chaouch.
« C’est un peu le pionnier de ce qu’on voit aujourd’hui sur les réseaux sociaux comme TikTok, ça va vite, c’est court et percutant, c’est la stratégie du slogan, des phrases simples, voire simplistes », ajoute le journaliste. « Jean-Marie Le Pen n’est pas l’inventeur de cette stratégie », rappelle néanmoins Virginie Tisserant, docteure en histoire politique contemporaine, chercheuse associée au laboratoire Telemme-CNRS. Mais elle résonne aujourd’hui dans la bouche d’un des dirigeants populistes les plus tonitruants : Donald Trump. La violence des mots choisis et l’invective ponctuent ses discours, avec un vocabulaire assez limité à la hauteur de celui d’un enfant de 10 ans, selon le test Flesh-Kincaid qui évalue les niveaux de langage.
On retrouve également chez les deux hommes « une gestuelle forte, des arrivées sur scène travaillées, avec les bras en V ou le poing levé », souligne encore Azzeddine Ahmed-Chaouch.
Des thématiques obsessionnelles
Ces discours servent à transmettre des obsessions aussi simples que les paroles choisies. En premier lieu, aussi bien chez Jean-Marie Le Pen que Donald Trump, la lutte contre l’immigration. « Un million de chômeurs c’est un million d’immigrés », scandait le Front national, un slogan qui ancre la défense des « Français d’abord ». Aujourd’hui, il fait écho au célèbre « America first » du président républicain américain qu’il souhaite mettre en œuvre par des plans de déportation de migrants illégaux qu’il qualifie de « hordes de criminels ».
Outre la préférence nationale, qui va souvent de pair avec la haine de l’étranger, Jean-Marie Le Pen était animé de la nostalgie de la grandeur supposée d’une France du passé, celle de l’empire coloniale et donc de l’Algérie française. Un thème récurrent chez les extrêmes droites diverses, comme chez Vox, en Espagne, qui regarde les années franquistes avec une certaine mélancolie. « Toute l’extrême droite capitalise sur cette notion de grandeur passée, c’est commun dans beaucoup de pays », note ainsi Virginie Tisserant. Donald Trump et son « Make America Great Again » ne font pas exception.
Une fascination pour « l’homme fort »
Se placer comme principal opposant d’un monde politique élitiste en invoquant l’étiquette antisystème est là encore une manœuvre populiste assez commune. Malgré son domaine de Montretout d’une surface de 8,3 hectares sur les hauteurs de la banlieue chic de Saint-Cloud, Jean-Marie Le Pen a repris ce refrain de l’outsider politique en opposition à une classe politique formée dans les écoles réservées à la haute société. Une contradiction répétée par Donald Trump. Malgré son empire immobilier et son passé médiatique, le milliardaire a su enfiler le costume du candidat antisystème et s’imposer comme tel dans son électorat.
Notre dossier sur la mort de Jean-Marie Le Pen
A l’échelle mondiale, cette vision marginale engendre une fascination particulière pour les dirigeants parias de la scène internationale, surtout ceux qui tiennent leur peuple d’une main de fer. Jean-Marie Le Pen admirait l’ancien roi du Maroc Hassan II, a défendu Mouammar Kadhafi ou même Saddam Hussein, rappelle Le Monde Afrique. Donald Trump n’avait pas caché son admiration pour Vladimir Poutine qu’il qualifiait en 2015 de « dirigeant fort », « dirigeant puissant ».
Pour l’un comme pour l’autre, « on reste dans une diatribe d’extrême droite décomplexée », remarque Virginie Tisserant, à une grande différence près : Jean-Marie Le Pen n’a jamais accédé au pouvoir et a pu être condamné à plusieurs reprises pour ses propos racistes, homophobes ou xénophobes. Donald Trump, lui, « n’est pas condamné, il est même réélu », note la spécialiste. En revanche, la violence en politique est, depuis les années Le Pen père, « totalement débridée, s’inscrivant dans une crise de la démocratie profonde », regrette enfin Virginie Tisserant.