France

Grippe : « L’impression d’être passé sous un train »… Les hommes en font-ils trop lorsqu’ils malades ?

Chaque hiver, l’épidémie de grippe annuelle est l’occasion d’observer un étrange phénomène. Les hommes semblent beaucoup, mais alors beaucoup moins bien y résister que les femmes. Oubliant toute notion de décence ou d’amour-propre, le mâle grippé n’hésite jamais à s’afficher au bord de l’agonie au moindre rhume, emmitouflé dans son lit à surjouer la mort imminente et la douleur insupportable. Le phénomène est si répandu qu’il porte même un nom dans différentes langues. Man Flu aux Etats-Unis, Männergrippe en Allemagne… « La grippe pour homme » frappe partout dans le monde.

Le sujet ne fait pas l’unanimité entre les genres. Pour Laurie, 34 ans, il est certain qu’il s’agit de « gros chiqué ». « A chaque fois que mon copain ou l’un de mes ex avaient la grippe, on aurait dit qu’ils n’allaient pas passer la journée. Toutes mes amies ont observé ça avec leurs mecs. Vous, les hommes, vous êtes juste des fragiles ». Benjamin, 29 ans et actuellement malade, se défend lui de tout sur-jeu : « J’ai vraiment l’impression d’être passé sous un train, il n’y a pas d’exagération ».

« Il n’y a pas de vérité générale »

Même au sein de la communauté médicale, le sujet divise. Plusieurs médecins ont gentiment envoyé boulet nos demandes d’interviews, arguant qu’ils n’avaient jamais entendu parler d’un tel phénomène et qu’eux ne constataient pas de différence de symptômes entre leurs patients hommes et femmes. Michael Rochoy, médecin généraliste dans le Nord et qui voit passer de nombreux malades, atteste : « Il n’y a pas de vérité générale. Certains hommes supportent bien leur grippe, certaines femmes sont clouées au lit. Il peut par contre y avoir une prophétie autoréalisatrice : à force d’entendre que la grippe tabasse plus les hommes, ces derniers laissent plus exprimer leur douleur ».

Mahmoud Zureik, praticien hospitalier en épidémiologie et en santé publique et directeur d’Epiphare, admet « n’avoir aucune idée d’où vient cette réputation », mais que cette dernière est « plutôt vraie ». Reste qu’« il n’y a pas d’études scientifiques concluantes qui montrent que le rhume des hommes est plus sévère que le rhume des femmes. Peut-être, à l’époque, les hommes fumaient plus que les femmes et l’impact du tabac est plus important sur les symptômes respiratoires. Le rôle des hormones, notamment les œstrogènes, ou une immunité moindre chez les hommes ont été évoqués. »

Les hommes réellement plus à risque de formes sévères

Bruno Lina, chef virologie à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, explique quant à lui que « l’homme est plus à risque vis-à-vis des maladies infectieuses, dont la grippe. La femme a de meilleure défense immunitaire et l’homme a plus de chance de développer des formes sévères et graves. » Ainsi, un bilan de la Dress sur la première vague épidémique du coronavirus en France montrait que les hommes étaient surreprésentés dans les hospitalisations (55 %, alors qu’ils ne représentent que 48,3 % de la population française), dans les soins critiques (70 %), et dans les personnes décédées (60 %). La durée médiane de séjour en soins critiques était de 12 jours chez les hommes, contre 9 pour les femmes. Une surmortalité masculine avait également été constaté lors de la grippe espagnole en 1918.

Au-delà d’une meilleure réponse immunitaire, la femme est également souvent en meilleure santé initiale, ce qui diminue la sévérité des maladies. Les hommes sont par exemple bien plus en surpoids que les femmes en France (36,9 % contre 23,9 %, selon un rapport de la Haute Autorité de santé de 2024), un facteur qui augmente les risques de développer une forme sévère de la grippe, du Covid…

Des femmes habituées à taire leur douleur

Et les femmes se soignent, ce qui peut aussi faire une sacrée différence dans le suivi de la maladie, rajoute Michael Rochoy : « Elles consultent beaucoup plus que les hommes en moyenne. Elles vont donc se soigner, prendre des médicaments, ce qui va vite soulager les symptômes. Certains hommes ont le réflexe  »d’attendre que ça passe », laissant la maladie se développer. Et s’aggraver ». Dernière piste pour Bruno Lina : « Socialement, les femmes sont plus éduquées à moins se centrer sur elles-mêmes, à prendre en charge le foyer ou les enfants, et à taire leur ressenti », ce qui explique en partie qu’elles ne se laissent pas dépérir dans le lit comme nous autres, les hommes. « Nous, on est habituées à ne pas parler de notre douleur, regrette Laurie. Personne ne nous croit quand on dit qu’on souffre de nos règles, alors la grippe, vous pensez… »

Reste pour la défense des hommes qu’une grippe, ça tabasse vraiment. « On a tendance à l’oublier à chaque fois, mais une grippe, ça peut être très violent », rappelle Bruno Lina. Particulièrement cette année, où la souche H1N1, ou grippe A, est majoritaire. Etre cloué au lit, fiévreux ou avoir des douleurs partout dans le corps « n’a donc rien de délirant ou d’exagéré, ce sont des symptômes qui s’observent fréquemment », poursuit le spécialiste. D’autant qu’il est plutôt sain de s’écouter quand on est patraque : « Il ne faudrait pas, que pour fuir cette réputation, des hommes malades se forcent à être actifs ou à faire comme si tout allait bien si ce n’est pas le cas », avertit Michael Rochoy. Ouf, on peut retourner chouiner.