France

Attentat de « Charlie Hebdo » : Dix ans plus tard, les dessinateurs de presse sont toujours touchés

«On s’intéresse à la santé et à l’avenir des dessinateurs de presse le jour anniversaire d’un massacre sans précédent contre les dessinateurs de presse. C’est quand même symptomatique… » Ce dessinateur, ancien du journal satirique, est effondré et préfère ne pas s’épancher sur « la quasi-disparition du métier » pour laisser la place « à la mémoire des victimes » de l’attentat du 7 janvier 2015.

Ce jour-là, il y a dix ans, la rédaction de Charlie Hebdo était décimée lors d’un attentat islamiste. Dans les jours qui suivirent, un élan d’émotion et de solidarité s’empara du pays. Au centre des manifestations de soutien : l’attachement à la liberté d’expression. « Comment est-il possible de tuer pour un dessin ? », s’interrogeait-on alors. Dix ans plus tard, la situation du dessin de presse est toujours aussi difficile. A Charlie Hebdo et ailleurs.

« On ne censure pas »

Coco, pilier de Charlie et dessinatrice pour Libération, vit encore et toujours sous protection policière : « Ce n’est pas normal que des journalistes vivent comme ça, notre rédaction est un bunker. Mais sur notre façon de faire, rien n’a changé : on ne se censure pas, jamais. C’est un point crucial et vital du métier de dessinateur de presse. »

La journaliste ne peut pas envisager son métier aujourd’hui sans penser à ceux qui sont morts le 7 janvier. « C’est beaucoup de manque. On pense sans arrêt à eux, à leur travail, à ce qu’ils ont porté, à leur talent et à tout ce qu’ils ont transmis. »

« L’humour a perdu »

Le 7 janvier 2015, Charlie Hebdo est devenu le porte-étendard d’une profession qui, aujourd’hui, souffre énormément Que ce soit pour des raisons économiques ou politiques, exercer son travail de caricaturistes ou satiristes est devenu encore plus difficile en 2025 qu’en 2015.

Kroll, dessinateur du Soir, pointe une tragique « perte d’insouciance » : « Même si tout n’est pas précisément la conséquence de cet attentat islamiste, le 7 janvier 2015 marque le début de temps nouveaux dans mon métier. Finie à jamais, l’insouciance avec laquelle on dessinait parfois. L’humour est affaire de connivence, et on pensait savoir à qui on s’adressait. C’est fini. C’est comme si les frères Kouachi avaient montré à qui est choqué par quoi que ce soit qu’il est en droit de le faire interdire ou de s’en venger. L’humour a perdu »

« Le danger vient de plus en plus de la dictature des ultrariches »

Aussi douloureux et violent qu’ait été l’attentat contre Charlie Hebdo, la menace qui pèse aujourd’hui sur les dessinateurs de presse est la disparition, analysent nombre d’entre eux. « Aujourd’hui, les valeurs de Charlie Hebdo, comme l’humour, la satire, la liberté d’expression, l’écologie, la laïcité, le féminisme pour ne citer que celles-ci, n’ont jamais été autant remises en cause. Peut-être parce que c’est la démocratie elle-même qui se trouve menacée par des forces obscurantistes renouvelées », explique Riss, directeur de la rédaction.

Joep Bertrams, dessinateur pour plusieurs médias, notamment De Groene Amsterdammer, aux Pays-Bas, voit la censure s’accentuer : « La menace sur la liberté d’expression n’est plus aujourd’hui l’apanage des fondamentalistes. Le danger vient de plus en plus de la dictature des ultrariches. Avec leur argent, Elon Musk, Rupert Murdoch, Jeff Bezos, Vincent Bolloré et tous ces oligarques contrôlent non seulement les médias, mais aussi les arts. Daech a certes rendu les dessinateurs nerveux et nos proches un peu plus inquiets. Mais les multimilliardaires ont le pouvoir d’exclure tout ce qui ne leur plaît pas ; c’est la fin de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. »

Vivre, et rire

« Ces dernières années, il y a des dizaines de journaux qui ont viré leur dessinateur de presse. Le métier est en voie d’extinction. A part quelques-uns, qui s’estiment chanceux, la plupart ne vit pas de son travail, nous explique cet ancien de Charlie Hebdo. Mais c’est indécent d’en parler aujourd’hui parce que perdre son boulot ce n’est rien par rapport à mourir assassiné… »

Notre dossier Charlie Hebdo

Riss a choisi de signer un édito optimiste dans le numéro spécial de Charlie Hebdo consacré à cet anniversaire : « La satire possède une vertu qui nous a aidés à traverser ces années tragiques : l’optimisme. Si on a envie de rire, c’est qu’on a envie de vivre. Le rire, l’ironie, la caricature sont des manifestations d’optimisme. Quoi qu’il arrive de dramatique ou d’heureux, l’envie de rire ne disparaîtra jamais. »