François Louant, luthier : “Un violon, c’est 200 à 300 heures de travail mais il durera trois ou quatre siècles”
« La vocation, c’est avoir pour métier sa passion ». Ces mots de Stendhal prennent tout leur sens quand vous échangez avec un artisan. En cette fin d’année, La Libre a voulu en savoir plus sur ces femmes et ces hommes qui ont choisi de vivre de leur passion, parfois en se démarquant dans un univers professionnel où art et savoir-faire ne sont pas toujours reconnus à leur juste valeur. Rencontre avec François Louant, luthier à Fernelmont.
- Publié le 27-12-2024 à 11h27
Dans son petit atelier de Sart d’Avril, dans la commune de Fernelmont, au nord-est de Namur, François Louant et sa magnifique moustache vous accueillent avec sympathie. L’artisan se tient derrière son grand établi – « un très vieil établi, sur lequel on fabriquait des pianos à Gand ». Rangé sur ce meuble, ses outils, anciens eux aussi, certains qu’il a fabriqués lui-même, comme ce rabot en bronze à canon. Au-dessus du luthier, pendus au plafond, une série de violons attendent une réparation. Derrière lui, un poêle à pellets. Et une rangée d’archets qui patientent également. « Je les répare, mais je ne les fabrique pas. Archetier, c’est un métier à part. »
Et puis, tout au fond de la pièce, un grand portrait de Jean Tournay, qui était facteur de clavecin à Noville-les-Bois, le village d’à-côté. « Mon premier maître. Je l’ai rencontré à treize ou quatorze ans et j’ai tout de suite su que je voulais créer des instruments », raconte le luthier. Il se sent attiré par « la musique et le travail du bois ».
L’oreille absolue
Il faut dire qu’à la maison, le jeune François Louant baignait dans une ambiance artistique. « Ma mère était musicienne. Pas professionnelle, mais de très bon niveau. Mon père était artiste peintre amateur. On avait plein d’instruments. On écoutait de la musique classique, pas de la pop. » Lui-même ne joue pas d’instrument. « Mais j’ai hérité de ma mère l’oreille absolue. Il faut savoir écouter, trier les sons, les décomposer. Je sais jouer pour tester un instrument, mais jouer joliment, ce n’est pas nécessaire pour être luthier. »
Ce qui lui plaît, dans la lutherie, « c’est la complexité ». « Il faut savoir tout faire : je fabrique des outils, je crée des instruments. Il n’y a pas deux restaurations les mêmes. Il y a la musique, évidemment. On doit raisonner comme un historien. Ou encore faire de la chimie appliquée, quand on crée un vernis. »
Comme Bill Gates
L’apparition des violons remonte au XVIe siècle, contextualise François Louant, « mais ils sont inspirés d’instruments précédents ». « Le violon a ensuite évolué durant deux siècles pour atteindre une forme de perfection avec Nicolo Amati. La lutherie crémonaise (de Crémone, en Lombardie, NdlR) était la plus recherchée. » Antonio Stradivari, dit Stradivarius, est le plus célèbre représentant de ce savoir-faire de Crémone. « Un peu comme Bill Gates avec l’informatique, Stradivarius est arrivé au bon moment. Le produit était là et la demande explosait. Le travail à la chaîne s’est développé, bien avant les usines Ford. En fonction de votre habilité et de votre formation, vous occupiez telle ou telle place dans la chaîne. »
Aujourd’hui, la lutherie est une affaire d’artisans, comme François Louant, qui apprennent le métier dans une relation de maître à élève, mais aussi d’entreprises industrielles, chinoises ou allemandes notamment. La qualité de ces instruments industriels s’améliore, « sauf dans les violons bas de gamme à 99 euros », mais elle reste inférieure à celle des violons artisanaux. « Un violon, pour moi, c’est 200 à 300 heures de travail. Quand j’ai commencé et que je n’avais pas d’enfant, je pouvais en faire deux par mois. Aujourd’hui, si vous m’en commandez un, je vous le livre dans deux ans. » C’est que le facteur d’instrument est interrompu par le réparateur. « Quand un musicien me dépose un violon à réparer, c’est comme quand vous déposez votre voiture au garage, il en a besoin rapidement. Je travaille en permanence avec un chrono dans le dos. »
guillement Dans la lutherie, la concurrence n’a pas de limites, ni géographiques, ni temporelles. Même mort, Stradivarius fait de la concurrence.
Mais quand il fabrique un violon, « c’est pour trois ou quatre siècles ». « Je me fabrique ma propre concurrence, sourit-il. Dans la lutherie, la concurrence n’a pas de limites, ni géographiques, ni temporelles. Même mort, Stradivarius fait de la concurrence. »
En Belgique, on ne compte pas beaucoup de luthiers, quelques dizaines peut-être. « Mais par rapport à la taille du territoire, c’est beaucoup. Et puis, je peux concurrencer un luthier de la côte est des États-Unis. Et vice-versa. C’est mondialisé. »
Parfois, l’artisan assiste à un concert où apparaît un instrument qu’il a réalisé. « Là, je peux jauger sa portée, sa place dans l’orchestre, sa singularité. Mais je n’ai pas d’autre attache sentimentale avec mes instruments que celle de l’instrumentiste. Si un riche client paie un violon à son fils mais qu’il ne joue presque pas, il n’y a pas de sentiment. Mais si je vois revenir un violon usé, plein de sueur et enrichi du jeu du musicien, là il y a de l’émotion. »
Dix euros de l’heure
Pour un violon fabriqué par François Louant, il vous en coûtera au moins 18 500 euros TVAC. « Mais si vous déduisez la TVA, les impôts, les cotisations sociales, les fournitures, etc., il ne me reste que 10 euros de l’heure », nuance le luthier, qui se plaint également d’un « système belge qui n’est pas adapté aux artisans qui ont une production irrégulière », mais qui doivent payer des impôts et des cotisations de façon régulière. « Beaucoup d’artisans se cassent la gueule », déplore-t-il. Lui-même, heureusement, peut compter sur le salaire régulier de sa femme.
À 65 ans, François Louant voudrait désormais se consacrer à la formation. « J’ai 50 ans d’expérience. Je voudrais la transmettre. » Mais plus en tant que maître avec un apprenti. « Cela prend énormément de temps, durant lequel je ne peux rien faire. Mon plus cher souhait serait d’enseigner à l’Imep (NdlR : l’Institut de musique et de pédagogie, à Namur). On m’a dit que j’avais une pédagogie naturelle. »
Et de toute évidence, une passion à partager…