Laurent Gerbaud, artisan chocolatier à Bruxelles: « J’ai commencé à produire du chocolat avec mes deux grands-mères »
« La vocation, c’est avoir pour métier sa passion ». Ces mots de Stendhal prennent tout leur sens quand vous échangez avec un artisan. En cette fin d’année, La Libre a voulu en savoir plus sur ces femmes et ces hommes qui ont choisi de vivre de leur passion, parfois en se démarquant dans un univers professionnel où art et savoir-faire ne sont pas toujours reconnus à leur juste valeur. Rencontre avec Laurent Gerbaud, artisan confiseur, nommé meilleur chocolatier de Bruxelles en 2021.
- Publié le 24-12-2024 à 16h32
Il est 14 heures et en cette période de fin d’année particulièrement chargée, on imagine qu’en arrivant au lieu de rendez-vous, on retrouvera le chocolatier Laurent Gerbaud complètement dépassé en cuisine. Mais quand on entre dans sa boutique située au 2 rue Ravenstein, on est accueilli par des sourires, un « goeidag, bonjour » (ils ont le droit de le faire dans les deux langues, eux) et des odeurs de chocolat.
Le surnommé « Lo », maître des lieux, n’est pas (encore) en cuisine. Non, il est tranquillement attablé et papote avec un client. « Nous parlons de taxes et de toutes ces choses pour lesquelles on risque la prison si on ne paie pas », plaisante cet inconnu. « Oh, s’il y a du chocolat en cellule…« , répond Laurent Gerbaud, avant de rire aux éclats.
Le confiseur – qui n’aime manifestement pas les interviews au format classique et n’aime, en fait, rien faire comme tout le monde – propose de raconter son parcours tout en prenant l’air à deux pas, au parc Royal. « En fait, c’est autant pour Boulette que pour moi », précise-t-il.
Boulette, c’est sa fidèle acolyte à quatre pattes (et qui, malgré son nom, n’est absolument pas en surpoids). Une chienne qui sautille partout, comme si elle avait avalé une quantité astronomique de chocolat ou de sucre. « Ah non, pas de sucre. Il n’y a pas de ça dans mes produits », réagit Laurent Gerbaud. Boulette, elle, est déjà partie en trombe. L’interview au pas de course dans les rues de Bruxelles est lancée.
guillement « Un jour, un copain m’a demandé de l’aider à fabriquer une sculpture en chocolat. Je trouvais ça sympa et j’ai appris à faire les moules. Puis, soudainement, il a abandonné son projet. Sauf que moi, je m’étais même inscrit au Ceria pour prendre des cours du soir. Et c’est comme ça que tout a vraiment commencé. »
La bonne nourriture comme passion
Laurent Gerbaud est un « zinneke » pur jus. Il est né et a grandi à Bruxelles dans une famille où l’art de bien manger (et bien boire, insiste-t-il) est véritablement sacré. « Ma maman cuisinait très bien et recevait régulièrement du monde à la maison. On se retrouvait souvent autour d’une bonne table. La bonne nourriture, c’est probablement ma première vraie passion, et c’est de famille« , raconte le confiseur.
De quoi se lancer dans une carrière culinaire et bifurquer, ensuite, dans la chocolaterie ? Pas du tout. « En fait, j’adore cuisiner et les copains scouts demandaient de faire l’intendance en cuisine. Malgré tout, je n’avais pas pensé à en faire mon métier« , confie-t-il. Lorsqu’il entame des études à l’Université libre de Bruxelles (ULB), il ne sait pas trop ce qui le branche. Il commence des études de droit, qu’il réussit avant d’abandonner en plein parcours. Puis il se lance dans des études pour devenir historien médiéviste. « J’ai adoré cette période. On était un petit groupe d’étudiants assez proches des profs, un peu comme dans un cadre familial. Il nous arrivait de manger tous ensemble ».
Même les plus beaux souvenirs estudiantins de Laurent Gerbaud sont liés à la nourriture. Mais cela n’explique pas comment des études de droit puis d’histoire font de vous l’un des meilleurs artisans chocolatiers de Belgique. « Un jour, un copain m’a demandé de l’aider à fabriquer une sculpture en chocolat. Je trouvais ça sympa et j’ai appris à faire les moules. Puis, soudainement, il a abandonné son projet. Sauf que moi, je m’étais même inscrit au Ceria (institut de formation en pâtisserie notamment, NdlR) pour prendre des cours du soir. Et c’est comme ça que tout a vraiment commencé. »
Les études se passent très bien, mais Laurent Gerbaud a un vieux rêve qu’il s’est juré de réaliser en terminant ses études : vivre une année en Chine. Le jeune homme d’alors n’y est cependant pas allé en simple touriste. Il nourrit, déjà, l’espoir de devenir entrepreneur.
guillement « Mes grands-parents étaient boulangers-pâtissiers. J’ai commencé à produire avec mes deux grands-mères dans les cuisines de l’une d’elles quand j’ai démarré mes activités. C’était en 2001. »
Un début de carrière compliqué
« Honnêtement, c’était assez compliqué au début, se remémore-t-il. On croit que le chocolat, produit par un Belge, ça va cartonner là-bas, mais en fait, on n’y aime pas trop ce qui est sucré. D’ailleurs, il y a très peu de sucre dans la gastronomie chinoise. Et nos chocolats étaient bien trop sucrés. J’ai donc surtout vendu mes chocolats à des expats. »
L’expérience est enrichissante, mais pas d’un point de vue pécuniaire. C’est surtout en tant qu’artisan que Laurent Gerbaud se développera en Chine où il créa son logo, qui veut dire chocolat en mandarin. « Quand je suis rentré à Bruxelles, j’étais fauché. Je suis retourné en Chine pour tenter ma chance là-bas, mais cela n’a pas fonctionné. À un moment, je me suis dit que je devais me lancer chez moi, à Bruxelles. »
L’histoire ne dit pas comment le lieu, situé face au Bozar à Bruxelles, a été choisi, mais c’est là que Laurent Gerbaud finira par ouvrir sa boutique. « Mais c’est ça, c’est le point d’orgue du parcours. Parce qu’avant la rue Ravenstein, il y a notamment eu les ateliers Dansaert où j’ai continué à peaufiner mon expérience, avant de vendre mes premiers chocolats à des clients basés à Londres. J’avais une petite mallette avec des échantillons pour trouver des clients. Puis, une amie d’enfance a donné mes chocolats à une personne qui ouvrait un concept store de chocolats fins vendus comme les grands vins à Berlin. Et là, les affaires ont pris un peu plus d’ampleur. Et j’ai oublié de vous dire un détail de taille : mes grands-parents étaient boulangers-pâtissiers. J’ai commencé à produire avec mes deux grands-mères dans les cuisines de l’une d’elles quand j’ai démarré mes activités. C’était en 2001. »
guillement « Je ne ressens pas le poids de la concurrence. Je pense que chacun réussit à vivre avec sa clientèle et tout le monde peut profiter des gens qui viennent des quatre coins du monde pour goûter notre chocolat. »
Les travaux à Bruxelles, les attentats, le Covid
En 2009, Laurent Gerbaud ouvre enfin sa propre boutique. Mais ça ne décollera pas vraiment. En cause : la crise financière. « En fait, j’ai commencé à faire des bénéfices seulement après 2018. Avant ça, c’était en dents de scie, explique le chocolatier. Quand il y a eu le piétonnier au centre-ville, on l’a payé cher. Quand il y a eu les travaux des tunnels, on l’a payé cher. Je ne vous parle pas des attentats de Bruxelles en 2015, et encore moins du Covid. »
Et de raconter tout cela en gardant le sourire. « Ne me dites surtout pas que je suis résilient, je n’aime pas ce mot qu’on utilise dans tous les sens. Je préfère dire que, dans la vie, j’attends que ça passe, je fais le dos rond, puis je continue mon petit bonhomme de chemin. »
Qu’en est-il de la concurrence des autres chocolateries, nombreuses à Bruxelles ? « Je ne ressens pas le poids de la concurrence. Je pense que chacun réussit à vivre avec sa clientèle et tout le monde peut profiter des gens qui viennent des quatre coins du monde pour goûter notre chocolat. Certains en font un business avec, parfois, des prix que je considère un peu élevés. Personnellement, je ne fais pas ça pour l’argent. J’aime ce que je fais et j’aime partager cela avec le plus de monde possible. Le chocolat doit rester un plaisir accessible à tous, pas un produit exclusif ».