Pourquoi on ne connaîtra jamais le vrai nombre de morts à Mayotte
«Plusieurs centaines [de morts], un millier, voire quelques milliers ». Alors que l’île de Mayotte vient de subir de plein fouet le passage de l’ouragan Chido le 14 décembre dernier, les premières estimations du nombre de victimes apparaissent. Ici, c’est le préfet de Mayotte qui s’exprime au lendemain de la catastrophe. Des tentatives de bilan à la louche, si ce n’est à l’aveugle, basé sur les quelques informations qui nous parviennent des secouristes déjà sur place.
Un manque d’informations qui provoque un emballement, repris par les politiques, les médias, qui s’accrochent au moindre chiffre arrivant de l’île. C’est ainsi qu’est apparue cette estimation terrifiante de 6. 000 morts, publiée dans un reportage La Réunion la Première, qui montre le flou dans lequel les autorités publiques sur place se trouvent. Un reportage supprimé depuis par la chaîne, mais qui assurait se baser sur les premières estimations des secouristes sur place.
Même le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, s’était risqué à donner une fourchette très large au lendemain du passage du cyclone, évoquant « plusieurs centaines [de morts], peut-être approcherons-nous le millier, voire quelques milliers. »
Des rumeurs de charniers et de fosses communes, creusées dans l’urgence, étaient apparues, relayées notamment par la députée mahoraise Estelle Youssouffa (LIOT). « Des fausses informations » selon le préfet, qui assure que des survols de l’île ont été effectués en drone pour s’en assurer.
Le calme après le cyclone
Aujourd’hui, l’emballement a laissé place à un apaisement relatif. Si sur place, les opérations de sauvetage se poursuivent sur l’île ravagée, les comptables de la République relativisent les premiers chiffres alarmants. Lundi, sur l’antenne de BFM TV, le nouveau Premier ministre François Bayrou préférait parler « de dizaines, plutôt que de milliers » de morts. « Je crois que les chiffres alarmistes, terrifiants des premières heures ne seront pas vérifiés » assurait-il.
Comment expliquer un tel emballement ? Pour la sénatrice mahoraise Salama Ramia (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), présente sur place, c’est surtout la taille des bidonvilles qui rend le comptage difficile.
« « Nous n’avions aucune idée de combien de personnes vivaient dans ces bidonvilles. Ce sont des personnes qui arrivaient par bateaux, qui n’étaient pas répertoriées, donc impossible d’avoir ne serait-ce qu’une estimation. » »
Des habitations « en constante évolution » selon la députée, dans plusieurs localités, impossible à recenser pour les pouvoirs publics.
Des corps enterrés en urgence
Une autre explication, cette fois religieuse, explique les difficultés de comptage des victimes de ce cyclone. Dans la religion musulmane, pratiquée par une grande partie de la population mahoraise, il est de coutume d’enterrer les corps moins de 24 heures seulement après le décès.
Dans l’urgence de la situation, de nombreuses familles auraient enterré leurs morts sans prévenir les mairies environnantes. Ce serait d’autant plus le cas pour les familles en situation d’irrégularité qui préfèrent éviter les contacts avec les autorités.
Sur place, la sénatrice Salama Ramia confirme : « J’ai reçu plusieurs témoignages de ces sépultures creusées par les habitants des bidonvilles, que l’on peut repérer par la présence de terre fraîche retournée. J’ai obtenu plusieurs photos de ces tombes, mais je n’ai pas pu en voir de mes propres yeux pour l’instant. » Pour elle, ces vérifications vont prendre du temps, puisque les équipes de recherche ne peuvent pas encore accéder à toutes les communes reculées, où les dégâts ont été massifs. Le préfet François-Xavier Bieuville tempère ce phénomène : « Nous avons eu des informations pour aller constater des lieux de sépultures, mais nous en avons trouvé très peu au final », a-t-il assuré.
Une mission spéciale de comptage
Dès le mardi 17 décembre, la réunion de crise place Beauveau a confié à la préfecture de Mayotte une « mission de recherche des morts », accompagné d’une « équipe spécialisée » chargée du recensement. Des questionnaires ont été confiés aux maires de chaque commune pour qu’ils participent à ce comptage et qu’ils fassent part des premiers bilans locaux.
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Mais pour la sénatrice Samala Ramia, ce n’est pas la priorité.
« « L’essentiel aujourd’hui c’est de poursuivre les recherches pour trouver de potentiels survivants. Il faut s’assurer que les secours puissent faire leur travail. Ensuite, on s’occupera de fournir de l’eau, à manger et un toit à tous ceux qui en ont besoin. » »
Sauver ce qui peut encore l’être, loin des spéculations et de la recherche du chiffre exact, voici l’objectif ces dernières heures sur l’île de Mayotte.