Gouvernement Bayrou : Et si le RN laissait la nouvelle équipe travailler en paix plus longtemps que prévu ?
Dans le concert de louanges qui escorte les choix gouvernementaux de François Bayrou, le RN n’a pas laissé sa part aux chiens, évidemment. Jordan Bardella a tenté une punchline Marine Tondeliesque sur X – « Heureusement que le ridicule ne tue pas. Hélas, rien n’aura été épargné aux Français : François Bayrou a réuni la coalition de l’échec » – et Marine Le Pen avait préparé une petite bafouille dans la même veine, bien qu’un peu plus ampoulée : « Les Français n’attendaient pas grand-chose de la nomination d’un gouvernement qui s’appuie comme le précédent sur une absence manifeste de légitimité et une majorité introuvable ».
Deux réactions tellement attendues qu’elles sentent la formule écrite et programmée à l’avance, un peu comme le rôle que chacun s’assigne au repas de Noël, sur l’air de « ah non, ça va être encore à moi de défendre Jean-Luc Mélenchon cette année, pitié ».
Pouce vers le bas pour Xavier Bertrand
Car le fond de l’affaire ne trompe personne : tout le bureau politique du RN a dû ouvrir le foie gras avant l’heure lundi soir, en découvrant les noms égrenés par le nouveau Premier ministre, pendant que Marine Le Pen racontait en se tapant les cuisses comment elle avait eu la peau de Xavier Bertrand. La présidente du Rassemblement national en avait fait une question personnelle, et alors que tout était ficelé dimanche soir, en apparence, le ténor des Hauts-de-France a reçu le fameux coup de fil un peu gênant, celui où il faut rétropédaler parce qu’on s’est engagé sur une proposition qui ne tient plus.
Bayrou a tenté de rouler des muscles, justifiant cette décision par une « conception du ministère de la Justice qui n’était pas la sienne », mais cela ressemblait à une vaine tentative de s’accrocher aux branches, sauf si Bertrand, évidemment, avait plaidé pour une amnistie générale dans toutes les prisons françaises, ce dont on peut raisonnablement douter.
De gênante dans le message qu’elle envoyait, la séquence est devenue affligeante pour le nouveau gouvernement, quand le même Xavier Bertrand, contrairement aux habitudes policées des coulisses des nominations ministérielles où l’on se flingue surtout en off, a balancé un communiqué pour tout expliquer : « Le Premier ministre m’a informé ce matin, contrairement à ce qu’il m’avait proposé dimanche, qu’il n’était plus en mesure de me confier la responsabilité du ministère de la Justice en raison de l’opposition du Rassemblement national. »
Le budget, épreuve de force plus facile à passer ?
Voici donc officialisée la première victoire de Marine Le Pen, qui a souvent caressé Bayrou dans le sens du poil depuis sa nomination. Dans sa dernière grande interview, accordée au Parisien, elle l’avait exhorté à faire des choix : « Nommer un ministre de la Justice qui passe ses journées à contredire le ministre de l’Intérieur ne me paraît pas être une bonne politique ». Une semaine après, C’est le très ferme Gérald Darmanin qui est nommé garde des Sceaux, pour former un couple tout à fait raccord avec Bruno Retailleau à Beauvau. Le même Darmanin qui avait fustigé les réquisitions à l’encontre de Marine Le Pen, pointant la possibilité « extrêmement choquante qu’elle ne puisse pas se présenter en 2027 ».
Autant de bonnes nouvelles d’un coup vont-elles dissuader les députés RN de voter une nouvelle censure à la première occasion avec la gauche, qui ne s’est pas cachée qu’elle s’y mettrait dès le discours de politique générale de François Bayrou le 14 janvier, estomaquée « par ces heures passées à discuter » sans parvenir à obtenir des concessions sur « un changement de cap » plus marqué ?
La personnalité du nouveau ministre de l’Economie, chargé de tricoter un nouveau budget pour février, peut poser problème sur le papier : Eric Lombard, passé par les cabinets ministériels sous Michel Rocard, Pierre Bérégovoy et Michel Sapin, est plutôt étiqueté à gauche, et sa ministre déléguée aux Comptes publics, la revenante Amélie de Montchalin, est une macroniste zélée. Cependant, l’épisode 1 du nouveau budget a eu le mérite de clarifier les lignes rouges des uns et des autres, et Michel Barnier a estimé en privé que Marine Le Pen voulait surtout envoyer un message en votant la censure en dépit de nombreux gestes de sa part dans les dernières heures.
Le RN se risquera-t-il à voter une deuxième fois la censure sur le même sujet, au risque d’apparaître, aux yeux de nombreux électeurs, comme un parti de désordre politique, lui qui bâtit justement sa nouvelle respectabilité sur son sens des responsabilités ? « L’exécutif va devoir changer de méthode, écouter et entendre les oppositions pour construire un budget qui prenne en compte les choix exprimés dans les urnes, s’est simplement exprimée Marine Le Pen. Dans l’attente de l’alternance, nous saurons lui rappeler que rien ne peut se faire et se décider dans le dos de 11 millions de Français. »
La loi immigration à l’horizon
Si jamais le gouvernement Bayrou sortait vivant de cette première bataille grâce à la neutralité du RN, il dépasserait à coup sûr les 51 jours de son prédécesseur. Mais le soulagement pourrait être de courte durée. François Bayrou a semblé écarter l’idée de légiférer sur l’immigration avec nouvelle grande loi, « destinée à faire, en fait, de la communication », préférant donner la priorité à « l’exécution et à l’application des mesures qui ont été votées ».
Une position qui pourrait crisper rapidement le RN sur son sujet de prédilection. « C’est comme ça, il [Bruno Retailleau] n’a pas l’air d’y toucher mais en fait ce petit changement de nuance pour le grand public signifie qu’il assume qu’il recule », a prévenu Jean-Philippe Tanguy sur RMC. « S’il n’y a pas de loi, vous ne pouvez pas prendre de mesures fortes ». Pour résumer : Bayrou et le RN partent du bon pied, mais attention au croche-patte volontaire avant le printemps.