France

La prison corse de Casabianda : le « Club Med des pédophiles » ?

C’est une prison assez spéciale qui s’est fait remarquer sur les réseaux sociaux les derniers jours. Un internaute s’est filmé devant le centre pénitentiaire de Casabianda, en Corse, qui possède la particularité d’être l’une des seules prisons ouvertes de France.

Pas de grillage, pas de barbelés, des détenus libres de se déplacer, de quoi surprendre ce promeneur, qui a pu filmer les alentours de la prison, et même échanger avec plusieurs individus qui semblent être des détenus.

Sur cette vidéo, on aperçoit d’abord des panneaux « Ministère de la Justice, accès formellement interdit au public » bloquant l’entrée à la plage de Casabianda. Un espace réservé selon notre internaute aux détenus, qui seraient majoritairement des personnes emprisonnées pour agressions sexuelles sur mineurs : « Nous, on ne peut pas y aller, ici c’est pour les pédophiles. »

Au cours de sa balade, l’homme va croiser plusieurs individus, dont les échanges indiquent qu’ils sont emprisonnés à Casabianda. Il nous est pour autant impossible de l’affirmer avec certitude.

A chaque rencontre, la même stupéfaction de voir ces hommes en liberté : « Regardez, y’a pas un grillage, y’a rien. » Il finit même par rire de ces conditions de détention avec un des intéressés, qui avoue « qu’il y a pire », lui qui affirme être passé d’abord par d’autres prisons comme celle de Fresnes, en région parisienne.

Une prison unique en France

Si la vidéo peut surprendre, c’est parce que c’est l’un des seuls exemples de prison ouverte du pays, c’est-à-dire que les mesures préventives contre l’évasion ne résident pas dans des obstacles matériels comme des murs, des barreaux ou des barbelés. Pourtant, la dernière tentative d’évasion date de février 2022.

Pour autant, cela ne signifie pas que les détenus sont livrés à eux-mêmes. En 2023, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a pu visiter ce centre de détention. Dans son rapport, l’organisme explique que la prison possède une exploitation agricole de 1 480 hectares, sur laquelle les employés travaillent à temps plein. Lorsqu’ils ne sont pas aux cultures, ils entretiennent, réparent leurs outils et machines agricoles, et participent à la ve de la prison.

Journaliste pour Corse matin, Paul-Mathieu Santucci a pu observer à plusieurs reprises ce cadre de vie unique : « A côté des temps de travail, les détenus sont très libres. Ils doivent simplement être présents pour l’appel, plusieurs fois par jour. »

Peu de récidives et peu d’évasions

La prison peut se targuer d’avoir des taux de récidive et d’incidents beaucoup plus faibles que la moyenne nationale. Pour Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ce succès est lié au cadre de vie unique proposé : « Ils apprennent un métier, ils sont responsables, les surveillants disent même qu’ils pourraient aller au tribunal seuls. Tout ça ce sont des facteurs de réinsertion, et c’est ce qu’on attend d’une peine de prison. »

Lancé juste après la Seconde Guerre mondiale, le modèle de la prison ouverte français est le fruit d’une remise en question globale de la détention par Paul Amor, premier directeur de l’administration pénitentiaire à la Libération.

« Le choc, ça a été la libération des résistants enfermés à Fresnes, poursuit Dominique Simonnot. Pour la première fois, on a écouté et respecté la parole des gens qui sortaient de prison et qui tiraient la sonnette d’alarme sur les conditions de détention. »

Alors comment expliquer que l’on ne reproduise pas ce modèle ailleurs en France ? « On manque de courage, on n’assume pas ce que tout le monde sait, que l’on impose à nos détenus des conditions de détention infâmes, qui créent de la haine et de la récidive. »

Le « Club Med » des pédophiles ?

Pourtant, un autre point a fait réagir les internautes, c’est le profil supposé des détenus, qui est tout aussi spécial que l’établissement. Au cours de sa visite impromptue, notre vidéaste l’affirme, il n’y a « que des pédophiles » dans cette prison.

Dans son rapport, le contrôleur général des lieux de privation de liberté nuance : « Le recrutement se base sur l’adaptation au profil, essentiellement des personnes condamnées à de longues peines dans le cadre d’infractions à caractère sexuel, dont le dossier ne comporte pas de poursuites disciplinaires. »

En 2023, la prison de Casabianda abritait 70,09 % de personnes condamnées pour des faits de nature sexuelle sur mineurs ou adultes et 26,5 % pour des homicides ou assassinats.

A noter aussi que les détenus y sont plus âgés qu’ailleurs : 60 % d’entre eux ont plus de 50 ans.

Pour Dominique Simonnot, le choix des profils est essentiel : « Ce sont des personnes volontaires, qui doivent remplir certains critères, parce qu’il est essentiel de protéger la relation de confiance qui s’est créée entre les détenus et les surveillants. »

Et dans le cas des violences sexuelles notamment, les taux de récidive sont plus faibles que pour d’autres crimes : 5.6 % en 2022 pour le viol, contre 7,1 pour l’homicide involontaire, et 22,5 % pour les autres crimes.

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Sur place, les habitants se sont habitués à cette compagnie, même si les communes avoisinantes demandent plus de communication de la part des responsables pénitenciers. C’est aussi ce que demande le journaliste Paul-Mathieu Santucci : « Les quelques fois où il y a eu des problèmes d’évasion, il a fallu faire de pieds et des mains pour pouvoir diffuser les portraits-robots, ce qui ne rassure pas les maires voisins… »

Pour fonctionner, ce modèle doit s’assumer pleinement, sans avoir peur des commentaires de quelques internautes surpris.