Sport

Biathlon :« Pas là où on veut être… » La cérémonie des fleurs fait-elle un peu trop l’apologie de la lose ?

Idée de business pour renflouer les caisses de la fédération norvégienne de biathlon : revendre à prix d’or les fleurs reçues par leurs biathlètes après chaque course. Au vu du nombre de skieurs placés dans le top 6 – synonyme de présence à la cérémonie des fleurs, il y a moyen d’en dégager l’équivalent du chiffre d’affaires annuel du Real Madrid. Pas dit néanmoins que cette pensée opportuniste traverse un jour leur esprit, pas plus qu’elle n’effleure celui de Quentin Fillon-Maillet, coutumier des places d’honneurs. Le multiple champion olympique est plus porté sur le don, avec une conception genrée de la chose. « En général, si ma compagne est présente, c’est la première à qui j’en offre. Le 2e jour, si je suis à nouveau dans le top 6, ça va à ma mère. Ça m’arrive aussi d’en donner à un des gars de l’équipe dont la copine est présente. » Classe.

Mais d’où vient cette cérémonie des fleurs qui, comme à Kontiolahti, n’en a parfois que le nom ? A vrai dire, personne ne le sait vraiment. Même l’IBU botte en touche, sauf à dire que la naissance de cette tradition remonte aux années 80-90. Chat GPT balance l’année 1984 sans citer de source, voila où on en est, donc : nulle part. Enfin pas tout à fait. De notre expédition dans les PDF des règlements de la fédération internationale de 2009 à 2024, nous rentrons avec une donnée étonnante, à savoir que la cérémonie des fleurs récompensait autrefois le top 8 de chaque course individuelle, et le top 6 sur chaque relais. A ce niveau-là, autant inviter aussi les familles et organiser une énorme teuf au milieu de la piste. De 2012 jusqu’à 2018 ou 2019 (là encore tout est flou), l’IBU avait rétropédalé pour repasser au podium classique, avant de rebasculer sur la cérémonie telle qu’on la connaît, celle du top 6.

Comment ça fonctionne ?

Comme un podium normal, avec les trois meilleurs de la course du jour sur la boîte, auquel on ajoute les trois suivants à leur gauche. Le rendu à l’image est assez aléatoire et renforce l’idée selon laquelle les athlètes ne savent pas trop où se mettre à côté des vrais vainqueurs du jour, mais en réalité, le cérémonial occupe aujourd’hui une place importante dans le cœur des coureurs. Surtout les plus jeunes. Plus tôt dans l’année, l’Autrichienne Anna Gandler racontait son émotion après avoir reçu ses premières fleurs, à Soldier Hollow. « Je me répétais à moi-même de ne pas pleurer, et puis quand j’ai entendu la musique pendant la cérémonie, je me suis dit  »merde, il faut que je pleure ». »

De la frustration, mais pas un truc de loser

La perception du moment est un peu différente chez les athlètes confirmés où ceux qui sont plus ambitieux. « A mes débuts, quand je faisais une cérémonie des fleurs, c’était exceptionnel, confie QFM. Maintenant ça l’est beaucoup moins. Ce n’est pas un mauvais moment pour autant. On est mis à l’honneur, j’apprécie. » « Ça dépend forcément de ce qu’on veut, analyse Eric Perrot, valeur montante du biathlon français. Beaucoup de compétiteurs veulent gagner, moi y compris, donc quand on fait 4, 5, 6, on n’est pas là où on veut. Donc il y a une petite part de… ça donne plus envie d’être sur la boîte qu’à son pied et simplement prendre les fleurs. »

De là à dire que c’est un truc de loser, il y a un pas que personne n’est prêt à franchir, et encore moins les commentateurs enclins à minimiser les échecs d’untel car somme toute, il a peut-être raté trois balles sur son dernier tir debout alors qu’il avait 40 secondes d’avance sur la concurrence, « mais il y a quand même une super cérémonie des fleurs à aller chercher au bout ». STOP AVEC CA, PAR PITIE. Laissez-nous être aigris, personne n’a jamais trouvé stylé de terminer 6e d’une course et c’est pas le biathlon qui va y changer grand-chose. Ou comme dirait plus poliment Fillon-Maillet : « ça cultive un peu moins le culte de la victoire comme on peut le voir dans les sports collectifs ou le cyclisme. »

« Loser, je ne sais pas, s’interroge de son côté Perrot. Tu fais partie de l’emballage final, tu n’es pas loin d’atteindre ce que tu veux, donc tu ne te sens pas totalement nul. Mais certains scénarios peuvent nourrir ce sentiment. Si tu arrives pour la victoire au dernier tir et que tu finis 4ème, il y a un petit sentiment de loser quelque part qui traîne, même si finalement tu fais intrinsèquement une bonne performance. Mais je ne pense pas que ce soit la position la plus loser que l’on connaisse. Tu as
la satisfaction d’être dans les top athlètes. Il y en a qui sont bien plus loin au classement dans des positions plus déprimantes. » Mieux vaut une cérémonie des fleurs qu’une 43e place dans l’anonymat total, cela va sans dire.

Aux JO, un sentiment de vide sans la « médaille en chocolat »

Si la traditionnelle cérémonie des fleurs s’étend aux championnats du monde, elle y perd de sa substance. Sans points à distribuer au classement général individuel de la Coupe du monde, seules les médailles comptent. Perrot en sait quelque chose pour avoir terminé au pied du podium sur les derniers Mondiaux. « Sur un événement one-shot, on est 4ème, on rentre à l’hôtel, on n’a pas marqué de points, bref, il y a une belle part de frustration ». Les Jeux olympiques, eux, ne s’encombrent même pas de la question florale, au grand regret d’Anaïs Bescond, aujourd’hui consultante pour La Chaîne L’Equipe.

« J’ai toujours été frustrée avec des 4e places, mais j’étais quand même toujours fière et contente d’être à la cérémonie des fleurs. Typiquement, aux Jeux olympiques, c’est que le podium. Et moi, quand j’ai fini 4e et 5e à Sochi, j’étais un peu triste qu’il n’y ait pas de fleurs. Parce que j’étais dégoûtée et j’étais toute seule dans ma déprime. J’étais bête d’être 4e et en plus, je n’avais même pas de fleurs. Je n’avais même pas de médaille en chocolat. »