« Si on se rate pour Noël, on ne se récupère pas… » A Marennes-Oléron, les ostréiculteurs dans le rush de fin d’année
Il est 7h30, ce mercredi 11 décembre, et il ne faut plus traîner. La marée est déjà en train de remonter, le temps presse pour aller ramasser, au large, les poches d’huîtres dans l’un des parcs de Philippe Ménadier, l’un des 200 ostréiculteurs du bassin de Marennes-Oléron.
Nous embarquons sur la barge ostréicole d’Hugo, 24 ans, le fils de Philippe Ménadier, qui accélère à fond une fois quitté le petit port de Chaillevette (Charente-Maritime). Une deuxième barge, avec trois de ses collègues à bord, nous suit de près. Après avoir navigué le long de la Seudre et longé les 3.000 hectares de claires, ces anciens marais salants entre terre et mer qui servent aujourd’hui à affiner les huîtres, il faudra encore une bonne demi-heure pour rejoindre le parc marin de Ronce-les-Bains.
« Ce matin, nous dit en criant Hugo Ménadier à cause du bruit du moteur, on va chercher des poches d’huîtres qui sont élevées en mer, pour les ramener à la cabane où elles seront nettoyées et triées, avant de les mettre en claires pour l’affinage ». Les huîtres ramassées ce matin-là se retrouveront sur nos tables d’ici le réveillon du Nouvel An.
Premier bassin ostréicole d’Europe
« Il s’agit quasiment des dernières levées en ce qui concerne les huîtres des fêtes de fin d’année, poursuit Hugo. Le plus gros a été fait et se trouve déjà dans les claires. » Et comme par tradition, on garde toujours le meilleur pour la fin, c’est de l’huître Spéciale que vont récupérer ce matin le fils de l’ostréiculteur et ses collègues. « Il s’agit d’une huître plus ronde que la Fine de Claires, avec un bon taux de chair à l’intérieur », dit-il, ce qui va lui donner plus de consistance et de longueur en bouche au moment de la dégustation.
Les huîtres Marennes Oléron comptent quatre catégories, qui démarrent par la Fine de Claires – la plus maigre et la plus répandue – et montent en gamme avec la Fine de Claires verte, la Spéciale, puis la Pousse en Claires. Quelle que soit sa catégorie, l’huître de Marennes Oléron est travaillée dans des parcs en mer le long de l’Atlantique pendant deux ans et demi à trois ans, puis elle est affinée, « comme un fromage », dans les claires. Cette période peut durer de deux semaines à six mois, notamment pour les Pousses en Claires, appelées aussi la « Super Spéciale ».
Les claires, ces bassins naturels au sol argileux où l’eau douce se mélange à l’eau de mer à chaque marée, sont chargés en nutriments. Cela va non seulement purifier les huîtres, mais également leur apporter une saveur particulière, plus douce avec un côté végétal, et surtout moins iodée, et pour certaines une couleur verte. Avec environ 6.000 hectares de parcs à huîtres en mer et 3.000 hectares de claires, Marennes-Oléron est le premier bassin ostréicole d’Europe.
La Fine de Claire n° 3, « cœur de la consommation »
Après plus d’une heure d’un travail intense, et alors que la marée est bien remontée et commence à recouvrir le parc marin, les quatre ostréiculteurs, âgés de 18 à 54 ans, ont ramassé un peu plus de six tonnes d’huîtres ce matin-là. Hugo s’assure, sur place, que la qualité est au rendez-vous, en ouvrant quelques coquillages pour vérifier le taux de chair à l’intérieur. « L’aspect extérieur ne suffit pas, il faut vérifier qu’elles n’ont pas maigri. C’est de l’autocontrôle, mais c’est important de le faire quand on affiche le terme « Spéciale », il faut que la qualité soit au rendez-vous », explique le jeune ostréiculteur. Pas de souci pour aujourd’hui, la qualité est là.
9h30, il est temps de rentrer. D’autant plus que chargées, les deux barges mettront deux fois plus de temps à retourner à Chaillevette. Une fois accostés, les bateaux sont déchargés. Les huîtres passent immédiatement au lavage puis au triage, d’abord à la main, avant qu’une machine ne détermine leur catégorie, les huîtres étant classées de 0 pour les plus grosses à 5 pour les plus petites. « Le cœur de la consommation, c’est la Fine de Claire n° 3, qui représente 60 à 70 % » de la production de Marennes-Oléron, explique Philippe Ménadier.
Notre dossier sur les huîtres
« Mais cette année, poursuit l’ostréiculteur, on se retrouve aussi avec pas mal de n° 1 et de n° 2. C’est un reliquat d’huîtres que l’on n’a pas vendu l’année dernière à cause de la crise sanitaire du bassin d’Arcachon. Il a fallu les remettre à l’eau et elles ont continué à pousser toute l’année pour atteindre cette taille. C’est un très beau produit, très qualitatif, mais que l’on a du mal à vendre même en mettant un prix attractif. »
« Chaque heure compte »
A la faveur de la météo, froide et sèche, la qualité du produit semble au rendez-vous cette année. En revanche, les précommandes en grande surface sont en retrait d’environ 10 % par rapport à la même période l’an passé, ce qui inquiète les professionnels. Car il est impensable pour eux de rater cette période des fêtes de fin d’année, qui représente entre 60 et 70 % de leur chiffre d’affaires annuel.
Le mois de décembre est ainsi une véritable course contre la montre pour l’équipe de Philippe Ménadier, soit une dizaine de personnes. Objectif : que les huîtres soient prêtes à partir du 17 décembre, le jour où démarrent les expéditions vers les distributeurs, période qui se poursuivra jusqu’au Nouvel An.
Dès mardi prochain, « on passera à 25 personnes, la machine sera lancée. Et à partir de là, chaque heure compte » prévient Philippe Ménadier. L’entreprise, qui espère écouler 90 tonnes d’huîtres cette année, dont environ 60 tonnes dans cette dernière ligne droite, entre donc dans une période de « grosse pression, car on sait que si on se rate pour Noël, on ne se récupère pas ».
Avec une mauvaise conservation, « vous flinguez le produit »
La pression est d’autant plus forte, que « les distributeurs concentrent de plus en plus cette phase d’expéditions, qui démarre désormais le 17 ou le 18 décembre, alors que traditionnellement c’était le 15 », relève Philippe Chiron, président du groupement qualité Huîtres Marennes Oléron. Pourquoi ? « Parce qu’ils veulent la date la plus fraîche possible alors que l’on a jusqu’à huit jours pour consommer une huître. Et ce qui compte, ce sont les conditions de conservation, la date la plus fraîche ne garantit rien au consommateur, » assure-t-il.
Explications : « Si la palette d’huîtres en grande surface a été conservée avec le poisson en chambre froide à 2 °C, ou au contraire dans l’allée centrale du magasin à 25 °C, même avec une date de quatre jours, vous flinguez le produit, puisque l’huître se conserve entre 5 et 15 °C. » Bref, il vaut mieux une huître de huit jours bien conservée qu’une de quatre mal conservée. Un conseil qui vaut pour la conservation chez soi aussi, bien entendu.