France

L’affaire de la souris « mâchée », ou comment la maltraitance animale s’est peu à peu fait une place dans les tribunaux

Le procès devait initialement se tenir en avril dernier, mais il avait été renvoyé à ce vendredi 13 décembre 2024. Nous vous proposons donc de (re)lire cet article en lien avec cette affaire.

C’est l’histoire d’une petite souris… mâchouillée vivante pour amuser la galerie. La scène se passe le 8 septembre dernier, sur la plage du Prado, à Marseille, au cours d’une fête étudiante. Une des participantes a amené sa souris domestique, animal qui l’accompagne partout. Au cours de la soirée, un étudiant en classe prépa, très alcoolisé, lance à la cantonade « filmez-moi, je vais la manger ». Une petite dizaine de fêtards se rassemble autour de lui. Hilares, ils scandent en chœur « mets-la », sous-entendu « dans ta bouche ». La jeune fille s’inquiète mais un ami la rassure : il ne le fera jamais. Il se trompe. L’étudiant gobe la souris, la mâche, la recrache puis la ramasse par terre et la remet dans sa bouche. En quelques crocs, l’animal est mort. Peu après, il diffuse son méfait sur Instagram. En quelques heures la vidéo devient virale et l’indignation est générale.

Trois étudiants – celui qui a mâché la souris, celui qui l’a filmé et un troisième qui a diffusé les images – doivent être jugés ce vendredi devant le tribunal correctionnel de Marseille. L’auteur, qui comparaît pour « acte de cruauté ayant entraîné la mort d’un animal », encourt jusqu’à cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende. L’affaire pourrait toutefois faire l’objet d’un renvoi : compte tenu du nombre d’associations parties civiles, la plage horaire dédiée à ce procès risque d’être trop courte. « C’est un dossier particulièrement emblématique, on est face à des sévices hors-norme », souligne Me Xavier Bacquet, l’avocat de la Fondation 30 millions d’Amis. Voilà trente ans qu’il défend l’association, mais il le reconnaît, des cas comme celui-ci sont « heureusement » rares.

« J’étais considéré comme l’avocat des chiens écrasés »

L’affaire, pourtant, a bien failli se régler loin des prétoires : une procédure de reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) avait, dans un premier temps, été choisie. Dans ce type de procédure, qui vise à désengorger la justice, le parquet propose une peine aux mis en cause, si celle-ci est acceptée, un juge la valide en audience publique. Ici, le jeune homme qui a mangé la souris a ainsi été condamné à 1.000 euros d’amende et une interdiction à vie de détenir un animal. Le jour de l’homologation, les associations ne cachent pas leur colère, tant à cause de la peine proposée que par le choix de cette procédure, relativement confidentielle. Mais fait rarissime : la juge refuse la peine, estimant qu’un procès devant un tribunal correctionnel est nécessaire.

« C’est le signe que les choses changent, assure l’avocat. Au début, j’étais vraiment considéré comme l’avocat des chiens écrasés, c’était difficile d’obtenir une oreille attentive, on me faisait sentir que c’était secondaire. Aujourd’hui, c’est moins le cas. » L’avocate Isabelle Gharbi-Terrin, elle aussi spécialisée dans la cause animale et présente dans le dossier de « la souris » se souvient des « ricanements » et des « yeux levés au ciel » quand elle a commencé à travailler sur le sujet en 2017. « Les choses sont en train d’évoluer, on commence à prendre conscience qu’il s’agit, ni plus ni moins, de violences envers des êtres vulnérables. »

Des condamnations en hausse

Ces dernières années, les signalements pour des actes de maltraitance envers les animaux ont fortement augmenté. En 2021, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 12.000 infractions visant des animaux. C’est 30 % de plus qu’en 2016. Les condamnations suivent la même courbe ascendante : 635 en 2019, 937 en 2021. « Cela fait écho aux attentes de la société, il y a une vraie prise de conscience. Nous n’admettons plus ce qui était autrefois toléré. La médiatisation des affaires en est la preuve », insiste Franck Rastoul, procureur général près de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Dans son ancienne juridiction, à Toulouse, le magistrat a créé, en 2022, le premier pôle spécialisé « Environnement et maltraitance animale » pour améliorer la prise en charge de ces dossiers. Car la matière est large : combats de chiens, trafic d’animaux, dopage dans le milieu équestre, conditions de vie et d’abattage dans les abattoirs… « Les mentalités ont changé, on ne peut plus considérer cela comme une infraction mineure ou de seconde zone », insiste-t-il. Dans les commissariats et les gendarmeries, des « référents cause animale » ont été mis en place. Une brigade spécialisée a également vu le jour en 2022.

« Il y a une vertu pédagogique dans le procès »

Les peines encourues ont, par ailleurs, été revues à la hausse en 2021. Désormais, les actes de maltraitance sont punissables de trois ans d’emprisonnement – contre deux auparavant – cinq si l’animal est mort. Le fait d’être propriétaire de l’animal est une circonstance aggravante, tout comme celui de commettre ces actes en présence d’un mineur. « Les peines vont vers le haut mais il faut surtout qu’elles soient adaptées », poursuit le magistrat Franck Rastoul qui insiste sur l’efficacité de peines telles que la confiscation ou l’interdiction de détenir un animal.

Les maltraitances animales conduisent rarement leurs auteurs derrière les barreaux, à moins que celles-ci soient répétées ou commis parmi d’autres délits. Me Isabelle Gharbi-Terrin estime pouvoir compter les peines de prison ferme sur les doigts d’une main au cours de sa carrière. La dernière fois, c’était contre un homme qui avait brûlé le dos de son chien puis lui avait crevé l’œil. « Récemment, j’ai vu un tribunal décerner un mandat de dépôt contre un homme qui avait laissé mourir de faim le chien dont il avait la garde. C’était inenvisageable il y a encore quelques années », abonde Me Xavier Bacquet.

Mais lui l’assure, avant même la peine, ce qui l’anime, c’est la prise de conscience. « Il y a une vertu pédagogique dans le procès. C’est pour cela que j’y tenais tant dans l’affaire de la souris. Je veux que ces trois étudiants comprennent ce qu’ils ont fait. Que cela ne peut pas être un jeu de tuer une souris avec ses dents. »