Syrie : Négociation, Bachar al-Assad en monnaie d’échange… Comment Moscou peut sauver ses bases militaires ?
En géopolitique, les bases militaires sont des intérêts plus que stratégiques, au point parfois de faire et de défaire des guerres. Ou d’être des victimes collatérales de conflits, ce dont la Russie pourrait bien faire les frais. Car après la chute de Bachar al-Assad en Syrie ce week-end, le sort des bases russes, navale à Tartous et aérienne à Hmeimim, est aujourd’hui très incertain.
Ces deux positions sont clefs pour Moscou, lui garantissant un accès à la Méditerranée mais aussi à l’Afrique et notamment au Sahel, où Vladimir Poutine a accru son influence ses dernières années. Le Kremlin espère donc conserver ces installations cruciales. « Ces bases sont un héritage de l’époque soviétique [particulièrement celle de Tartous, installée dès 1972] et sont stratégiques pour la Russie », note Taline Ter-Minassian, professeure d’histoire contemporaine de la Russie à l’Inalco et spécialiste du Moyen-Orient.
La première, « la base aérienne de Hmeimim, permet à Moscou d’agir dans la région avec des avions ou des hélicoptères, mais elle est surtout une base de transit. Pratiquement tous les mouvements aériens russes vers l’Afrique passent par elle », analyse Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste. Quand à celle de Tartous, « elle offre une base d’attache en Méditerranée et c’est la seule base navale extérieure à la Russie ».
« Une débandade négociée »
Moscou a assuré que les rebelles islamistes avaient garanti la sécurité de la base de Tartous, mais de nombreux navires, ainsi qu’un sous-marin, ont quitté le port. Officiellement, ces bâtiments effectuent des « exercices en mer ». Mais lundi, la chaîne Telegram russe Dva Maïora, proche de l’armée russe, a déclaré que des « militants du HTC [le groupe islamiste au pouvoir depuis la chute de Bachar al-Assad] ont l’intention de sonder les défenses de notre base » de Hmeimim.
« Est-ce la débandade totale ? Je ne crois pas. Je pense que c’est plutôt une débandade négociée, tempère Taline Ter-Minassian. L’aide de la Turquie a été déterminante dans la chute du régime syrien. Et même s’il est impossible de dire que la Turquie et la Russie se sont concertées, je pense qu’il y a eu un arrangement avec les puissances régionales, notamment la Russie. » D’après la chaîne CNN Türk, Moscou aurait justement demandé de l’aide à la Turquie pour évacuer ses troupes en Syrie.
De « terroristes » à « opposition »
« Il est possible qu’un deal ait été conclu précédemment », abonde Michel Goya. Au-delà des Turques, les Russes pourraient aussi avoir proposé aux rebelles islamistes de ne rien faire pour soutenir Bachar al-Assad en échange de la conservation de leurs bases militaires, avance l’ancien colonel. Quel que soit leur interlocuteur, les Russes sont obligés de négocier car « les effectifs de ces bases sont très réduits » et elles sont donc « difficiles à défendre militairement » si les nouvelles autorités syriennes décidaient de s’en emparer.
Le Kremlin doit donc avancer prudemment. Après avoir pilonné violemment les djihadistes en Syrie, le vocabulaire de la Russie s’est soudainement adouci. Le journal Le Monde rapporte ainsi qu’une grande émission a réenregistré une partie d’une émission populaire du dimanche soir dans laquelle le présentateur décrit les nouveaux maîtres de Damas comme une « opposition armée » plutôt d’un « groupe terroriste qui faisait partie d’Al-Qaida ». « Ils essayent désormais de montrer qu’ils ne sont pas les alliés de Bachar al-Assad mais de la Syrie », glisse Michel Goya.
Bachar al-Assad comme « monnaie d’échange » ?
Parmi les pions que pourraient avancer Moscou figure Bachar al-Assad lui-même. Car, d’après le ministre adjoint des Affaires étrangères russes, le dictateur syrien s’est réfugié en Russie. Cette dernière pourrait-elle décider de livrer le dictateur qu’elle a tant soutenu pour soigner ses intérêts militaires en Syrie ? « C’est difficile à imaginer, réagit Taline Ter-Minassian. Cela enverrait une image terrible à ses alliés partout dans le monde. Souvenez-vous de Kadhafi. » Les images du dirigeant libyen malmené, frappé et violé avaient en effet choqué le monde entier.
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« Il y a aura certainement une pression sur la Russie pour qu’ils utilisent Bachar al-Assad comme monnaie d’échange », glisse Michel Goya. Avant d’ajouter : « même si on ne peut pas l’exclure, la crédibilité de la Russie en tant qu’alliée serait fortement mise à mal, et certains dictateurs de pays africains proches de la Russie pourraient alors se poser des questions sur sa fiabilité. »