Affaire Adèle Haenel : Après le coup de gueule de l’actrice, deux ans de prison ferme requis contre Christophe Ruggia
Au tribunal judiciaire de Paris,
Adèle Haenel s’est calmée. Un peu. Après avoir crié sa rage contre Christophe Ruggia – « Putain, ta gueule ! » –, qu’elle accuse d’agressions sexuelles, l’actrice, qui bouillonne depuis le début de ce procès éprouvant, est revenue dans la salle 2-01 du tribunal judiciaire de Paris. Chemise beige, veste noire, elle s’est assise devant ses avocats, le visage fermé. Quelques instants plus tard, elle se tourne vers la représentante du ministère public qui entame ses réquisitions.
« Cette audience doit remettre le monde à l’endroit, rappeler qui était l’enfant, qui était l’adulte. Au cœur des investigations, il y a les déclarations de la plaignante mais il y a aussi les témoignages, les expertises et les autres éléments matériels », rappelle ce mardi après-midi la magistrate, soulignant « le discours, constant, authentique, et pondéré » tenu par Adèle Haenel depuis le début de l’affaire.
« Il a fait le choix d’agresser sexuellement »
La magistrate dénonce, en revanche, la « défense improbable » de Christophe Ruggia qui a parlé d’une « vengeance » car il n’aurait pas voulu faire un deuxième film avec elle. « Il a fait le choix d’agresser sexuellement. Il avait toute sa conscience d’homme, d’adulte pour agir autrement. » Elle requiert une peine de cinq années d’emprisonnement, dont trois ans assortis d’un sursis probatoire de deux ans.
Deux ans ferme, donc, aménageables sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique. Elle demande en outre une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une profession en relation avec des mineurs pendant dix ans, l’inscription au Fichier des délinquants sexuels, ainsi que l’interdiction d’entrer en contact avec Adèle Haenel.
Adèle Haenel « me fait un petit peu peur »
L’actrice baisse la tête lorsque Me Orly Rezlan, l’avocate de Christophe Ruggia, plaide pour tenter de sauver son client. La pénaliste essaie dans un premier temps de transformer le procès du réalisateur en celui du site Mediapart, à qui la plaignante s’est confiée en 2019. « Dans toutes les affaires de cette nature, on se pose cette question : pourquoi elle l’accuserait ? Dans cette affaire, la plaignante a une position particulière, celle de lanceur d’alerte d’un #MeToo dans le cinéma. Elle est devenue immédiatement une icône du mouvement féministe. » Elle reproche à l’autorité judiciaire « d’avoir ouvert une enquête en l’absence de plainte » et dénonce des accusations qui, dit-elle, « n’étaient pas spontanées ».
Me Yann Le Bras roule un pull en boule et le donne à sa cliente. Adèle Haenel, à bout, le place sur la tablette devant elle et pose son visage dessus. De l’autre côté du prétoire, Me Fanny Colin, l’autre avocate de Christophe Ruggia, plaide à son tour. « Je n’aime pas le climat de terreur. Je comprends la colère, la souffrance, et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas protesté lors de plusieurs interventions de madame Haenel, également parce qu’elle me fait un petit peu peur », tonne la pénaliste. « On revisite l’histoire, on la réécrit », affirme-t-elle, ajoutant que, dans ce dossier, « les témoins se sont contaminés les uns les autres » et ont relaté « des scènes qui n’ont jamais existé ».
Selon Me Colin, son client « n’a rien d’un pédophile », il n’en a « pas le profil, pas la personnalité ». Elle estime qu’Adèle Haenel a sans doute été traumatisée par le tournage du film et non pas par des agressions sexuelles. Mais elle affirme que « le doute doit profiter au prévenu ». « Un souvenir qui a ressurgi » n’est pas « suffisant pour entrer en voie de condamnation ».
Le président du tribunal, Gilles Fonrouge, appelle une dernière fois Christophe Ruggia à la barre. Le prévenu n’a rien à ajouter. La décision sera rendue le lundi 3 février 2025 à 13h30.
Une manière adolescente de vivre
Plus tôt, dans la journée, le tribunal correctionnel a entendu Mona Achache, la femme qui a partagé la vie de Christophe Ruggia entre 2010 et 2011. Elle décrit un homme « immature », qui boit du Coca, mange dans les fast-foods, et habite dans un appartement « bordélique ». « Il avait une manière adolescente de vivre, il avait toujours vécu seul, à son rythme », explique cette mère de deux enfants, ajoutant qu’il « n’avait jamais vécu en couple », et était habitué à « une relative solitude ». Lorsqu’elle a habité avec lui, « il y avait un autre enfant » dans la maison, et « cet autre enfant était adulte ».
« Sexuellement, il y avait quelque chose dans son corps, dans sa manière d’être avec moi, qui témoignait de peu d’expérience », précise l’ex-compagne du prévenu. La réalisatrice, à qui l’on doit notamment le film Little Girl Blue, décrit un être presque manipulateur, voire menteur. « Il induit très vite que, sans sa présence, tout s’effondre, observe-t-elle. Il mettait beaucoup en lumière mes névroses, mes fragilités. »
Le réalisateur lui a confié avoir eu des « sentiments » pour l’actrice, un « amour fou pour elle ». Il était « débordé par la sensualité d’Adèle », « fasciné par son talent d’actrice mais aussi par son corps », avec « ses yeux d’allumeuses ». Un jour, elle comprend que celui qu’elle a aimé « s’est mal conduit » avec Adèle Haenel. Le cinéaste lui a raconté, un peu avant la fin de leur relation, avoir posé sa main sur le ventre de la jeune femme, un samedi après-midi à son domicile. Il aurait remonté sa main « par inadvertance » jusqu’à sa poitrine. Il l’aurait retirée après avoir vu la « peur » dans ses yeux. Elle comprend bien plus tard qu’au moment des faits, Adèle Haenel n’avait que 12 ans. « Je ne l’imaginais pas si jeune. »
La comédienne est omniprésente dans la vie de Christophe Ruggia. « Quand je lui demande pourquoi il ne la voit plus, son excuse est fumeuse, elle ne tient pas debout », remarque Mona Achache. Lorsque l’affaire éclate en 2019, après la publication d’un article de Mediapart, sa fille lui confie : « Tu sais quoi ça ne m’étonne pas du tout » car « il y avait quelque chose de lourd dans sa manière d’être ».
« Il a été banni de son métier »
Le tribunal a ensuite entendu Véronique Ruggia, 58 ans, la sœur du prévenu. Une position assez inconfortable. « Je ne vis pas ça de manière très facile », explique-t-elle. La comédienne a coaché Adèle Haenel sur le film Les Diables. Elle l’a recroisée dans la rue quelques années plus tard, en 2009 ou 2010. La jeune femme était « dans une agitation extrême ». « Elle m’a dit à ce moment-là qu’il s’était passé quelque chose avec Christophe. Sur le moment, je n’ai pas bien compris et elle est allée chez moi pour me raconter. » L’actrice lui a confié que Christophe Ruggia avait essayé « de la tripoter » et lui avait fait « une déclaration d’amour ». Elle savait « qu’ils se voyaient de temps en temps chez lui » mais à l’époque, elle n’était pas très proche de son frère.
Véronique Ruggia rapporte cinq ans plus tard à son frère les accusations portées contre lui par Adèle Haenel. « Il ne m’a pas laissé terminer. » Il s’est contenté d’évoquer « un geste malencontreux » qui aurait mis un terme à « son amitié » avec la plaignante. Il s’en serait excusé. « Il en était très triste » et s’est mis à pleurer car il « était très admiratif de son talent. » « Visiblement, il ne s’est pas empêché de tomber amoureux [d’Adèle Haenel], c’est ce que je comprends », souffle la témoin qui observe « la déchéance » de son frère depuis le début de l’affaire. « Il me semble que c’est très disproportionné, il a été banni de son métier », relève-t-elle.
Après une suspension, le président propose à Adèle Haenel de réagir. Elle revient notamment sur le témoignage de la sœur de Christophe Ruggia. « Je comprends que ce n’est pas facile », explique-t-elle. « Tout le monde me demande de pleurer sur le sort de monsieur Ruggia, remarque l’actrice. Mais qui se soucie de l’enfant » qu’elle était à l’époque ? Quand Christophe Ruggia reprend la parole jurant avoir tenté de protéger Adèle Haenel lors de ses débuts dans le cinéma. Quand il évoque François Truffaut, soudain, Adèle Haenel se lève et laisse exploser sa rage. « Putain ta gueule ! » hurle-t-elle, avant de quitter la salle. Elle reviendra calmée pour écouter les réquisitions.