Non-assistance à personne en danger : Pourquoi face à une agression, un seul témoin vaut mieux qu’une foule ?
Dans la rubrique des faits divers, il n’est pas rare de lire des exemples où les témoins d’une agression ne sont pas intervenus. En novembre 2022 par exemple, une prostituée a été mortellement passée à tabac par un client dans la rue, sous les yeux de deux ripeurs de la Ville de Paris, dans le XIXe.
Dans les transports publics aussi, les spectateurs n’émergent pas toujours de leur passivité. Comme dans ce train Paris Melun, où une étudiante s’est fait violer, dans la nuit du 4 au 5 février 2015, alors que des passagers étaient présents dans la même voiture.
Après une soirée en discothèque, cinq rugbymen du FC Grenoble sont jugés à Bordeaux jusqu’au 13 décembre, dans une affaire de viol en réunion. Deux d’entre eux sont renvoyés pour non-empêchement de crime. Ils ont assisté à la scène, dans un hôtel de la banlieue bordelaise, sans rien faire pour y mettre fin.
Comment expliquer cette inaction des témoins ? 20 Minutes a interrogé Grégory Michel, professeur de psychopathologie et de psycho criminologie à l’université de Bordeaux ainsi qu’à l’institut des sciences criminelles et expert judiciaire. Il rappelle en préambule que porter assistance à une personne en danger est une obligation, inscrite à l’article 223-6 du Code pénal, à condition qu’elle ne mette pas en danger l’intégrité physique du témoin lui-même.
Est-ce d’abord la peur pour sa sécurité qui empêche de se porter au secours d’une personne en danger ?
Le témoin d’une scène d’agression violente est paralysé par ce qu’il observe, effectivement parce qu’il éprouve de la peur. Il craint que l’agresseur ne se retourne contre lui, ce qui va conduire à une apathie.
Un autre facteur moins émotionnel et davantage cognitif, intervient aussi. En l’absence de réaction de la victime, le témoin va se demander s’il doit, lui, réagir. D’une certaine façon il rationalise et, si la victime ne demande pas d’aide et se montre passive, cela va l’amener à moins intervenir. Il peut même considérer que la personne accepte ce qu’elle vit ou qu’elle est consentante.
Or la victime est sidérée, c’est-à-dire que sous le coup d’un choc émotionnel, le cerveau se déconnecte du corps : c’est ce qu’on appelle la dissociation. Dans la très grande majorité des cas, les femmes agressées ne luttent pas. Pas parce qu’elles n’osent pas mais parce qu’elles n’y arrivent pas, tellement la crainte de la mort est forte. Et le témoin peut lui-même, sous la puissance de l’agression qu’il observe, se retrouver paralysé et dissocié. Par exemple, si on s’identifie à la victime on ne peut pas intervenir car on se retrouve paralysé et incapable de rationaliser.
A contrario, si la victime est capable d’appeler à l’aide, alors davantage de témoins interviennent car ils sont interpellés directement et se sentent responsabilisés.
Alors même que le danger pour les intervenants semble atténué lorsqu’un groupe assiste à une agression, vous expliquez que c’est une situation qui déresponsabilise les individus. Expliquez-nous.
Le « bystander effect » ou effet du spectateur en français, a été décrit par des psychologues américains à partir des années 1960. En clair, il montre que plus il y a un nombre important de personnes spectatrices et moins elles vont intervenir. Autrement dit, la probabilité de secourir une personne qui est agressée est diminuée par le nombre de personnes présentes. Le groupe a un effet de déresponsabilisation.
Il faut bien préciser qu’individuellement, les personnes ne sont pas indifférentes à ce qui se passe mais, il y a une sorte de dilution de leur responsabilité en groupe. Cet effet du spectateur montre que si on est seul face à une situation d’agression, on a davantage de probabilité d’apporter une aide parce qu’on ne pourra pas partager la responsabilité avec quelqu’un.
On sait aussi que les témoins interviennent davantage dans une situation qui implique une proximité avec une victime. S’il y a certaines valeurs partagées, si les témoins se connaissent entre eux ou partagent des valeurs, alors ils seront plus enclins à agir.
Mais existe-t-il des personnes plus morales que d’autres, avec un haut degré d’empathie qui font mentir cet « effet spectateur » ?
Il existe des personnes qui peuvent mettre en avant un haut niveau d’empathie ou être engagées dans des valeurs humanitaires voire religieuses. Et, on observe que lorsqu’elles sont confrontées à ces situations d’agressions physiques au sein d’un groupe de spectateurs, ce ne sont pas forcément elles qui interviennent le plus.
Certes, au niveau individuel, une personne qui n’éprouve que très peu d’empathie va moins intervenir mais d’autres facteurs (valeurs partagées, genre, liens de proximité et cet effet spectateur) rentrent en jeu et peuvent prévaloir.
Le cas des violences sexuelles semble un peu différent. Que peut-on en dire ?
Des témoins peuvent être confrontés à une situation violente à laquelle ils n’ont pas été préparés et ressentir une sensation d’effroi et d’horreur. Mais, il y a aussi des spectateurs qui tirent profit de la scène, car elle répond à leurs travers sexuels (voyeurisme, exhibitionnisme etc.) On est alors dans un autre domaine, celui des perversions sexuelles et de la paraphilie, où les personnes extérieures peuvent participer à cet acte-là.