Trans Musicales : « La musique n’est qu’un prétexte »… Ces festivaliers qui ne connaissent pas un groupe dans la prog
Il est 16 heures ce vendredi et quelques centaines de personnes sont massées dans le Liberté. Sur la scène de la principale salle de concert de Rennes, Mina Raayeb balance un puissant rap décrit comme « industriel ». Le trio venu de Brest joue certainement gros. Récemment formé, il espère séduire les nombreux programmateurs qui se cachent dans le public. Mais qui sont les autres ? Qui sont ces gens qui viennent aux Trans Musicales de Rennes sans connaître un seul groupe de la programmation ? Qui sont ces gens qui payent près de 40 euros pour passer une soirée d’hiver dans un Parc des Expositions ? Alors que la plupart des festivals français misent sur des gros noms pour attirer le public, les Trans arrivent à séduire des dizaines de milliers de spectateurs sans aucune tête d’affiche. « Nouveau depuis 1979 », dit leur slogan. Et si c’était vrai ?
Soyons honnêtes. Dans le public du festival, certains sont clairement calés en musique, beaucoup travaillent dans le milieu et viennent ici faire leur marché. « C’est un lieu incontournable pour nous. C’est the place to be », explique Joran, manager d’artistes venu de Nantes. Certains de ses groupes, comme le duo électro Atoem, ont vu leur carrière décoller après avoir joué ici. Mais Joran ne vient pas que pour ça. Au-delà du boulot, le trentenaire aux yeux bleus vient surtout « pour kiffer ». « Tu prends tout le temps des claques, même quand tu ne connais pas beaucoup de groupes ».
A ses côtés, Maëva tient un discours encore plus élogieux. « Je suis une pure fan des Trans. J’ai le poster dans ma chambre, je garde les CDs. C’est mon festival préféré ». A 26 ans, celle qui travaille pour les labels Vlad et Foudrage en est déjà à sa 9e édition. « Je trouve qu’il y a une dimension sociale. Ici, on aide des groupes pas connus à essayer d’émerger dans la jungle de la musique. C’est précieux ».
« Ils gardent leur identité, leur ADN »
L’une des meilleures publicités des Trans, c’est aussi leur CV. Depuis leur création, leur programmateur historique Jean-Louis Brossard a su dénicher des centaines de talents. « Je ne programme que des groupes que j’aime », assume l’infatigable passionné. On ne va pas se priver de rappeler que Nirvana y a joué, comme les Daft Punk, Björk, Ben Harper, Stromae et même d’autres trucs plus inattendus comme Blink 182 ou Alliance Ethnik. Vous trouvez que ça date ? Alors dites-vous que c’est là que Zaho de Sagazan a été repérée il y a deux ans. Vous connaissez la suite.
« C’est vrai qu’il y a quelques années, il y avait peut-être un peu plus de têtes d’affiche. Mais je pense que ce qui fait le succès des Trans, c’est ce côté découverte. Ils gardent leur identité, ne changent pas leur ADN », avance Antoine, 37 ans. « Pour moi, c’est un peu le rendez-vous incontournable avec les potes. L’ambiance est vraiment cool. Peu importe ce qui passe, on y va ».
Comme lui, beaucoup de gens de toute la « grande Bretagne » ont l’habitude de venir tous les ans, sans même savoir ce qu’ils vont voir et écouter. Quand on interroge les habitués, la réponse est souvent la même. « La musique et les groupes ne sont qu’un prétexte », explique Noémie. Pendant dix ans, la jeune quadragénaire aux cheveux frisés venait à Rennes « passer le week-end chez les copains copines » juste pour les Trans. Avec un rituel bien ancré : apéro musclé, départ maintes fois retardé et navette bondée.
« A quoi bon bosser la prog ? »
Désormais établie à Rennes, l’ex-Nantaise accueille désormais le fameux « apéro pré Trans » chez elle. « Moi, j’y vais pour la camaraderie et pour passer un bon moment avec les copains et copines », embraye Rom. Est-ce qu’il écoute la prog avant d’y aller ? Même pas. « J’aime bien me laisser porter par le moment. Est-ce que ce n’est pas là qu’on fait les plus belles découvertes ? ». Cet habitué du festival reconnaît qu’il lui arrive aussi d’oublier une partie de ce qu’il a vu, emporté par l’ivresse de la foule. « A quoi bon bosser la prog ? ».
Ceux qui ont l’habitude du Parc-Expo avouent avoir parfois passé des soirées moins bonnes que d’autres, à errer de hall en hall sans trouver leur bonheur. Mais il y a aussi toutes ces fois où ils ont transpiré jusqu’au slip au rythme d’un rock norvégien, d’un rap en islandais chanté par des femmes ou d’un folk psychédélique venu de Turquie. Sans parler des haltes improvisées au milieu d’une Green Room bouillante. Parce que c’est ça, les Trans.