Procès Pogba : La défense dénonce un procès « Warner Bross » et exige la relaxe pour ses clients
Au tribunal correctionnel de Paris,
Après avoir sagement écouté les deux procureures dessiner la mise en place du plan machiavélique élaboré par les amis d’enfance de Paul Pogba, dans le but de lui soutirer la bagatelle de 13 millions d’euros, les avocats ont enfin pu entrer en scène, jeudi, pour à leur tour, esquisser ce qui serait selon eux le véritable scénario de cette sombre affaire d’extorsion en bande organisée.
Et, sans surprise, ceux-ci n’y sont pas allés avec le manche du couteau pour démolir le récit « romancé » des deux magistrates, qui auraient tenté contre toute bonne foi de « faire rentrer des ronds dans des carrés ». Chacun y est alors allé de son bon mot. L’avocat de Boubacar C., Me Saïd Harir, a dénoncé un procès aux allures de « film Warner Bross », celle de Mamadou M. un « réquisitoire manquant de clairvoyance », « une fable, une histoire fantastique », et celui d’Adama C., Me Morand-Lahouazi, un « Cluédo inversé » dans lequel les coupables sont condamnés d’avance.
Des coupables tout trouvés selon la défense
Toutes et tous, sans exception, ont dénoncé une « enquête à charge », menée rapidement, voire à la va-vite, pour calmer l’opinion publique chauffée à blanc par les médias. « On a confondu vitesse et précipitation », regrette Me Morand-Lahouazi. Et celui-ci d’attaquer les enquêteurs qui n’ont pas pris la peine de réaliser un gel de bornes téléphoniques le fameux soir du 19 mars 2022, un gel qui aurait peut-être permis de pister les deux braqueurs qui n’ont cessé de hanter ce procès et dont on ne connaîtra jamais l’identité.
D’un autre côté, ce mystère autour des deux hommes armés fait aussi leurs affaires puisque, sans les témoignages du commando masqué, personne ne peut prouver que les prévenus étaient de mèche avec eux. Seul Roushdane admettra s’être « peut-être fait piéger » en donnant à « des connaissances » qui voulaient soumettre un projet de business à Pogba l’adresse et les codes de l’appartement de Montévrain. Les autres le jurent – par la voix de leur conseil : ils ne connaissent pas l’identité des braqueurs.
L’absence de Paul Pogba au cœur des plaidoiries
Pour le reste, comme l’a expliqué Me Steve Ruben, l’autre avocat de Mamadou M. appelé « Mam’s », cette soirée n’était à l’origine qu’une banale histoire de « cinq amis qui avaient envie de se voir et où se sont juxtaposés des intérêts différents ». Mamadou, qui encourt jusqu’à trois ans et demi de prison ferme, n’était pas brouillé avec le champion du monde. Il souhaitait simplement le convaincre de faire de lui son agent, lui qui se décrit comme « conseiller sportif » et qui gère la carrière de plusieurs footballeurs, dont un Espoir de l’équipe de France évoluant à l’AS Monaco. Marié à la sœur de Riyad Mahrez, il n’était « pas du tout dans le besoin », rappelle son avocat.
Quant aux autres, ils étaient là surtout pour clarifier certaines choses avec Paul Pogba. Boubacar, l’ex-chauffeur de Yeo Moriba (la mère des Pogba), que le joueur avait accusé d’avoir volé 100.000 euros qu’il lui avait remis à Manchester, rappelle que le contrôle douanier à l’aéroport de Manchester n’a jamais permis de retrouver cette somme.
« Les enquêteurs n’auraient pas dû prendre ce qu’a dit Paul Pogba pour parole d’évangile, conclut-il sa plaidoirie. Peut-être a-t-il chargé la mule par peur de ne pas être cru. » On ne sait pas si les absents ont toujours tort mais, ce qui est sûr, c’est que la décision de Pogba de ne pas assister ni de participer au débat a beaucoup été utilisée par la défense pour semer le trouble dans les esprits des juges. « Nous sommes tous d’accord pour dire que Paul Pogba est une victime mais ça ne lui donne pas le monopole de la vérité, rappelle Me Daphné Pugliesi, l’avocate de Roushdane K. Or ce dossier repose essentiellement sur sa parole, quoi qu’en disent les procureures. Une parole pourtant très évolutive. »
Verdict rendu le 19 décembre
Avant de déclarer aux enquêteurs que Roushdane avait activement participé aux méfaits du 19 mars, l’ancien milieu de terrain de la Juve avait d’abord évoqué un possible sourire échangé entre « Roush » et les braqueurs. Idem avec « Mam’s » : alors que Pogba jurait aux policiers qu’il n’avait plus eu le moindre échange avec son ami d’enfance après le braquage, l’étude des téléphones a prouvé le contraire. Et leurs discussions semblaient pour le moins amicales, l’un demandant à l’autre des nouvelles de son nouveau-né, dont il venait de recevoir des photos. « Si M. Pogba avait eu le moindre doute sur l’implication de Mamadou, aurait-il continué à échanger avec lui de cette manière ? », note alors Me Steve Ruben.
A la barre, Me Morand-Lahouazi dégaine alors une carte inattendue de sa manche. En se basant sur un témoignage (sorti de nulle part) du conseiller patrimonial de Paul Pogba, il évoque un compte bancaire ouvert par le Français à Dubaï, en avril 2021, et sur lequel 13 millions d’euros auraient été viré d’un autre compte à lui. Un élément jamais abordé jusqu’ici et qui ne manque pas d’interroger. Dans la salle, un ange passe. « Il faut assumer jusqu’au bout qu’on n’a pas cherché ! Il fallait faire vite, vite, vite, par ce que c’était Paul Pogba, assène-t-il. On a dit que c’était eux (les coupables), donc c’était eux. Il fallait que ce soit eux »,
« Toujours dans des affaires pas possibles »
Au bout du compte, si les avocats de quatre prévenus (Mathias Pogba étant hors de cause sur le fond de l’affaire) ont fait jouer la virginité de leur casier judiciaire et leurs profils « loin des critères habituels d’une délinquance organisée », qu’en est-il de cet énigmatique Roushdane « Le Rouge », dont le rôle trouble joué dans cette affaire hante encore les méninges des juges ?
Sans aller jusqu’à jurer de son innocence, son avocate a fait part de sa « colère » face au mutisme de son client, lequel serait un homme parfaitement jovial au quotidien, « un rayon de soleil quand il sourit », mais qui « est toujours dans des affaires pas possibles ». Elle conclut en rappelant que Roushdane K. est le seul dans cette affaire à avoir « versé son sang », lui qui s’est fait tirer dessus dans des circonstances très étranges, sans que ça ne prouve en rien une quelconque innocence.
Après avoir donné la parole aux six accusés, dont cinq réclament la relaxe, qui ont alors pu clamer une dernière fois leur innocence, certains rappelant aussi le rôle de « victime » de « la Pioche », la présidente a mis fin à ce procès sur les coups de 19h30. Le verdict est attendu le 19 décembre prochain, et on souhaite bien du courage aux juges pour parvenir à se forger leur intime conviction dans une affaire où chaque partie aura invariablement campé sur ses positions.