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Vendée Globe 2024 : Pourquoi Jérémie Beyou et Nicolas Lunven prennent exactement la même trajectoire de course ?

On espère pour Nicolas Lunven qu’il n’a pas oublié sa petite salière aux Sables-d’Olonne. Une purée lyophilisée, ce n’est déjà pas très ragoûtant, mais si vous enlevez en plus ce petit assaisonnement, l’appétit risque d’être vite coupé. Au pire, il pourra toujours demander, au risque d’être éliminé, à Jérémie Beyou de venir lui prêter la sienne. En quelques minutes, le skippeur de Charal pourra être à côté d’Holcim-PRB pour lui balancer le condiment sur le pont.

Car les deux hommes naviguent à quelques mètres l’un de l’autre depuis la descente de l’Atlantique Sud, après le coup de génie de Lunven, et se sont encore plus rapprochés depuis le passage du Cap de Bonne Espérance. Il n’y a qu’à observer la feuille de route des deux hommes pour voir que les deux lignes se superposent presque, avec, à chaque fois, trois, quatre mille d’écart entre les deux hommes.

« Des trajectoires assez similaires »

Evidemment, il n’y a pas de course commune, le règlement l’interdit, mais la stratégie choisie par les deux skippeurs pour éviter le gros de la dépression frappant le peloton de tête du Vendée Globe, les oblige à suivre presque la même trajectoire. « Ils ont fait ce choix tous les deux, rapidement, d’aller plus au nord, parce qu’ils savaient que de toute façon, ils avaient un peu de retard sur le groupe de Charlie [Dalin], et qu’ils allaient prendre vraiment cher s’ils continuaient au cœur de la dépression », nous explique l’équipe de Jérémie Beyou.

Nicolas Lunven et Jérémie Beyou, foils dans foils.
Nicolas Lunven et Jérémie Beyou, foils dans foils. - Navigation Team Paprec-Arkéa

« A partir du moment où les deux skippers sont à peu près d’accord sur le niveau de risque qu’ils veulent infliger à leur bateau, par rapport aux situations météo, de vent et de vagues que les modèles prédisent, ça donne des trajectoires assez similaires », ajoute Sébastien Col, team manager d’Holcim-PRB. L’option nord étant la moins risquée, les voilà donc main dans la main pour affronter ces vents violents, avec des rafales jusqu’à 60 nœuds et des vagues de 7 mètres de haut.

Un lièvre et l’autre suit

Les deux marins se retrouvent donc à s’échanger la place de cinquième au gré des différents pointages. Une sorte de « à toi, à moi » au milieu de l’océan Indien. Ce qui permet aussi à l’un de remettre un peu plus les gaz quand l’autre s’envole un peu trop loin. « C’est intéressant d’avoir une jauge, parce que quand on est tout seul, on lève le pied, mais on lève le pied de combien ? Ce n’est pas évident d’avoir une notion. Ça permet aussi de créer une émulation », détaille Sébastien Col.

Du côté du Team Charal, on compare la situation avec le lièvre d’une course de fond, qui permet au groupe de maintenir une allure soutenue sans pour autant griller toutes les cartouches du peloton (oui, un peloton de deux, ça existe aussi). Dans ces mers du Sud compliquées à gérer, avec des changements soudains de météo, naviguer à côté d’un autre concurrent à quelque chose de rassurant. Notamment si une avarie majeure frappe le bateau, avec des premiers secours très éloignés et la possibilité de rejoindre la terre ferme complexe.

« Il y a un isolement qui empêche de prendre des risques, notamment au niveau du matériel, estime le team manager d’Holcim-PRB. Et puis c’est la première grosse dépression de la course, donc il ne faut pas tout hypothéquer maintenant au niveau matériel. Quand on rentre dans le Grand Sud, c’est toujours bien d’avoir une proximité avec un bateau pas très loin en cas de soucis. »

Ensemble jusqu’au bout ?

Grâce à cette course « commune », le sentiment de solitude, après un mois de course, peut aussi moins se faire ressentir pour les deux hommes. Cela permet aussi à l’un comme à l’autre de ne pas perdre confiance en leur choix de navigation. « Jérémie se dit que si Nicolas, qui est un très bon météorologue, a fait le même choix que lui, c’est plutôt qu’il est dans le vrai. Il y en a un autre qui réfléchit comme lui. »

Alors, jusqu’où cela peut-il durer ? Chez Charal, on les voit ensemble jusqu’à la fin de l’Australie. « Ils sont tout le temps sur la carte à table, sur la météo, en train de regarder ce qu’il se passe, mais là, tu peux être sûr qu’ils vont prendre les mêmes décisions parce qu’en fait, ils sont amenés à le faire de par leur choix de prendre au nord. Si Jérémy, à un moment, décide d’aller à droite, tu peux être sûr que Nico, il va regarder aussi, il va se demander pourquoi il a choisi d’aller à droite. »

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« Aujourd’hui les skippeurs ont accès au même niveau d’informations en ce qui concerne les modèles météo, les images satellites, les logiciels de routage et de prédiction, donc la seule chose qui pourrait changer ça, c’est un problème technique qui ralentit l’un et pas l’autre, assure Sébastien Col. Mais il n’y a pas de raison qu’il ait des prises de risque en tout cas pour les trois prochains jours. »

Avant de boucler cet article, on a quand même fait un tour sur la cartographie du Vendée Globe pour voir l’évolution de nos deux tourtereaux. Pour la première fois depuis quelques semaines, Jérémie Beyou et Nicolas Lunven ont décidé de prendre une trajectoire différente. Pas trop éloignée, mais quand même, une vingtaine de milles les séparait. Pour mieux se retrouver dans quelques jours ? On n’a toujours pas réglé ce problème de salière.