Mais que cherche à faire l’Azerbaïdjan avec la Nouvelle-Calédonie et la Corse ?
Fin avril, alors que les tensions montaient en Nouvelle-Calédonie au sujet d’un changement de la loi électorale, Gérald Darmanin dénonçait déjà « l’ingérence néfaste » de l’Azerbaïdjan dans l’archipel. Celui qui était alors ministre de l’Intérieur dénonçait la signature d’un « mémorandum », un texte sans valeur juridique, entre une élue indépendantiste calédonienne et la présidente du parlement de ce pays voisin de la Russie et de l’Iran.
Sept mois plus tard, alors que les tensions sont toujours au plus haut entre les autorités françaises et azerbaïdjanaises, Viginum, le service de l’Etat français chargé de détecter les ingérences numériques étrangères, pointe dans un rapport publié ce lundi les tentatives de cet Etat pour « exploiter la situation politique et économique » dans les départements et territoires d’Outre-Mer français, ainsi qu’en Corse.
« Instrumentaliser les idées indépendantistes »
Viginum, qui dépend des services de la présidence de la République et du premier ministre, pointe des contenus « à la ligne éditoriale résolument hostiles à la France » diffusés sur X par un ensemble coordonné de comptes ainsi que par le Baku Initiative Group (BIG), un groupe créé en 2023 et qui porte le nom de la capitale azerbaïdjanaise.
Concrètement, la campagne numérique a voulu « instrumentaliser les mouvements et idées indépendantistes », en ayant pour objectif de « tenter (sans succès) de remettre en cause l’intégrité territoriale de la France dans ses territoires ultramarins ». Ces efforts étaient coordonnés et les publications amplifiées artificiellement pour leur donner de la visibilité sur les réseaux sociaux.
En Nouvelle-Calédonie, une photo détournée
Lors des émeutes en mai en Nouvelle-Calédonie, l’instabilité de la situation a ainsi été exploitée par ce réseau de comptes : une photo virale montrant un groupe d’hommes, dont un armé mettant en joue une cible depuis l’extérieur d’un supermarché, a été détournée. Celle-ci a notamment été réutilisée sur X et sur Facebook pour accuser la police d’être des « meurtriers » et de viser les manifestants indépendantistes. Plus de 5.000 messages ont ainsi été publiés en deux jours, les 15 et 16 mai, tous recopiant le même contenu. 348 des comptes ayant participé à cette manœuvre appartenaient à l’ensemble de comptes coordonnés qu’a identifiés Viginum.
Des tentatives d’ingérence en Martinique
Cette activité numérique a continué en octobre dans un autre territoire d’Outre-Mer, la Martinique, alors qu’une partie des habitants manifestaient contre la vie chère. Au moins 11 vidéos « instrumentalisant l’intervention » d’une compagnie de CRS ont été identifiées par Viginum entre le 8 et 11. La diffusion de ces contenus a été accompagnée de hashtags en anglais tels « #independence » ou « #colonialism ».
En parallèle de ces publications, Viginum pointe l’activisme du BIG, à la fois dans l’organisation de congrès et en ligne, via ses comptes sur les réseaux sociaux. En juillet 2023, au moment de sa création, le BIG avait ainsi « réuni différents mouvements, pour certains indépendantistes », note Viginum. Etaient présents des représentants de mouvements de Nouvelle-Calédonie, de Corse, de Martinique, de Guyane, de Polynésie française et de Guadeloupe. Depuis, le BIG a organisé d’autres congrès. En février, c’est l’ancien président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, qui a participé à une conférence à l’initiative du BIG en Turquie dont le sujet était la « décolonisation ». Mickaël Forrest, ministre calédonien dont le portefeuille inclut les relations extérieures du territoire, et Maurea Maamaatuaiahutapu, représentante de l’Assemblée de Polynésie française, étaient également présents.
« Une officine d’Etat »
Bien que le BIG se présente comme une ONG luttant contre le colonialisme, Viginum explique que l’organisation possède des liens directs avec l’Azerbaïdjan, en étant enregistrée fiscalement dans le pays. Viginum s’appuie également sur une phrase du président du pays, Ilham Aliyev, qui avait déclaré en janvier que le BIG est « notre enfant ». Viginum conclut que le BIG « est une officine d’Etat ».
La publication de l’enquête baptisée « UN-notorious BIG » intervient alors que les rapports entre Paris et Bakou sont toujours dégradés : la France n’a pas envoyé sa ministre de la Transition écologique à la COP29 qui vient de s’achever dans la capitale azerbaïdjanaise, tandis qu’Ilham Aliyev lui-même a attaqué la gestion des émeutes en Nouvelle-Calédonie. L’une des causes de ses tensions est le soutien de la France à l’Arménie, pays voisin et ennemi de l’Azerbaïdjan. Les deux pays se déchirent notamment au sujet de la région du Haut-Karabakh, désormais contrôlée par Bakou après une offensive éclair en septembre 2023.