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Entre les JO 2028 et l’argent russe, la boxe a encore du mal à choisir

Contretemps majeur dans la reconquête de la boxe mondiale par la fédération dissidente, World Boxing, et la survie du noble art aux Jeux olympiques. La semaine dernière, les fédérations membres de la Confédération asiatique de boxe (ASBC) ont (encore) voté à 21 voix contre 14 en faveur du maintien de l’affiliation à l’IBA, présidée par le sulfureux Umar Kremlev. Un camouflet auquel son président thaïlandais, Pichai Chunhavajira, réagira par la démission, avec l’intention de créer une nouvelle confédération asiatique libérée du joug de l’IBA.

L’Association internationale de boxe amateur s’est vue retirer sa reconnaissance par le CIO en 2023 pour diverses raisons allant du dysfonctionnement structurel aux problèmes d’arbitrage, à l’allégeance à la Russie et à la dépendance économique à Gazprom. L’instance olympique a depuis lancé un ultimatum au monde de la boxe : soit il repart à zéro sous l’autorité d’une nouvelle fédération, soit elle disparaît du programme olympique dès les JO de Los Angeles 2028.

Pas de JO pour les boxeurs affiliés à l’IBA

Autrement dit, soit une majorité de pays rejoint World Boxing, soit l’olympisme siffle la fin de la récré. Dans son infinie bonté, la date butoir de la décision finale, initialement prévue pour fin 2024, a été repoussée de trois mois à la fin du premier trimestre de 2025.

Au cas où les choses n’étaient pas claires, le comité olympique a adressé fin septembre un courrier en forme de coup de pression à tous les présidents et secrétaires généraux des Comités olympiques nationaux. Avec un rappel pour tous ceux qui seraient tentés de poursuivre l’aventure IBA. « Il est d’ores et déjà clair que tout boxeur dont la fédération nationale adhère à l’IBA ne pourra pas participer aux Jeux Olympiques de LA28 », pouvait-on lire dans un extrait publié par L’Equipe.

La Fédération française de boxe, dirigée par Dominique Nato, était alors toujours affiliée à l’IBA. Interrogé sur le sujet au détour d’une conférence de presse à Roland-Garros avant les JO de Paris 2024, Nato fuyait le dilemme IBA/WB comme la peste par crainte de s’attirer les foudres de Kremlev et de priver les athlètes français de tournois préparatoires. Les JO passés, le paradigme a changé.

« J’ai reçu une lettre du président (du CNOSF) David Lappartient, dans laquelle il m’était dit que la boxe n’était plus considérée comme une discipline olympique, avec tout ce qu’il en résultait : plus de reconnaissance, plus de vote parmi les fédérations olympiques, explique le président de la FFBoxe à 20 Minutes. Il me demandait la position de la fédération française de boxe par rapport aux demandes du CIO. »

Un comité directeur a été convoqué et soumis à un vote sans grand suspense. Le 4 novembre, la FFBoxe a donc annoncé se séparer de l’IBA pour rejoindre World Boxing. La décision doit encore être soumise à la validation de l’assemblée générale du 14 décembre prochain, jour de l’élection du nouveau président de la fédé. « Etant donné qu’on était à un mois des élections, et pour que la décision soit légitime aux yeux des opposants pro-IBA, on a fixé deux points à l’ordre du jour lors des élections du 14 décembre, dont le départ de l’IBA pour World Boxing. »

L’IBA survit à coups de billets

Sans la nommer, Dominique Nato pointe du doigt la proximité de son ex-opposante Estelle Mossely, officiellement hors course à la présidence mais toujours en campagne, avec la brebis galeuse. Lors d’une interview accordée à 20 Minutes au mois de septembre, la boxeuse justifiait sa position par le manque de garanties structurelles et financières apportées par World Boxing.

« Si je suis présidente et que le choix intervient trois ou quatre jours après mon élection, je dirais qu’il faut avoir les deux fédérations. Les Jeux, ça se prépare avec des compétitions, des compétitions bien organisées que l’IBA a su mener [World Boxing organisera ses premiers championnats du monde à Liverpool, en 2025]. Je trouve que le travail a été fait dans la mise en place des primes [pour tous les médaillés aux JO, même si l’IBA était exclue du mouvement olympique]. Demain, si on nous demande de choisir une fédération qui organise des compétitions mais qui ne paie pas les boxeurs, encore une fois, ce sont les boxeurs qui seront pénalisés. »

L'IBA, incarnée par son président Umar Kremlev, est toujours la plus forte. Entraînera-t-elle la boxe olympique au fond du ravin?
L’IBA, incarnée par son président Umar Kremlev, est toujours la plus forte. Entraînera-t-elle la boxe olympique au fond du ravin? - Alexander Ryumin/TASS/Sipa USA/SIPA

Umar Kremlev tient les joueurs et une partie des fédérations par la planche à billets, quitte à employer des méthodes douteuses. Lors des derniers championnats du monde juniors qui se tenaient au Montenegro, du 22 octobre au 3 novembre, la fédé internationale de boxe amateur a décidé en plein tournoi qu’elle payerait les jeunes boxeurs en liquide, des sommes allant de 1.000 dollars pour les quarts de finaliste à 8.000 pour les médaillés d’or (500.000 dollars de prize money au total). Quelques jours plus tôt, les pontes de l’IBA rencontraient le président de la Confédération africaine de boxe (AFBC), Eyassu Wossen, et ont promis un « soutien direct à 15 fédérations nationales en leur fournissant des équipements et des biens en nature pour un montant total de 293.926 dollars. »

« Si tous ces gens veulent rester à l’IBA pour que l’élite continue d’être saupoudrée d’argent de Gazprom, soit, mais je doute que le robinet reste ouvert encore longtemps », prévient Dominique Nato. Officiellement, le géant russe du gaz n’a pas renouvelé son partenariat avec la Fédération internationale depuis 2023, mais l’opacité du système Kremlev et les averses de billets verts sur la boxe laissent entendre l’inverse.

55 fédérations ont prêté allégeance à World Boxing

En face, World Boxing n’a pas grand-chose à proposer à ses boxeurs sinon une éthique et des statuts clairs en adéquation avec le cahier des charges des Jeux olympiques. En cas de reconnaissance par le CIO, la fédération dissidente devrait bénéficier de la rétrocession des droits d’image des JO gelés par le CIO après Rio 2016. Mais le chemin est encore long.

Pour le moment, WB compte seulement 55 fédés et peine logiquement à convaincre l’Afrique (trois pays) et une partie de l’Asie (15 pays), même si elle peut se vanter d’avoir obtenu le soutien de l’Ouzbékistan, meilleure nation olympique à Paris l’été dernier, et d’autres pays majeurs comme la France. Le « seuil » de sauvetage de la boxe aux JO est estimé à 70 membres affiliés à World Boxing. Si l’Asie entière avait dit oui…