Procès Pogba : « Tout a été minutieusement préparé »… Le parquet ne croit pas en l’innocence des prévenus
Au tribunal correctionnel de Paris,
Alors que le procès de l’affaire Pogba touche à sa fin, après les auditions des six prévenus, c’était au tour des deux procureures de présenter les réquisitions du parquet, mercredi. Pendant près de trois heures, dans cette salle où personne n’a semble-t-il pensé à allumer le chauffage, celles-ci se sont patiemment attachées à démêler les fils de cette pelote de laine géante et à livrer un scénario clé en main de ce qu’il s’est effectivement passé, selon elle.
Loin de la théorie victimaire que se sont efforcés de vendre les accusés au tribunal la semaine dernière, le parquet a dessiné un tout autre tableau, sombre, sordide. Celui d’une bande de potes dépendant totalement de la fortune de leur ami devenu star mondiale du foot et qui, frustrée de voir ce dernier couper les ponts avec eux en même temps que le robinet à cash au début de l’année 2022, fomente un plan totalement dingue tout droit sorti d’un mauvais polar.
Pas mobile, vraiment ?
Après avoir épluché les (maigres) économies des prévenus, quand ceux-ci n’étaient pas carrément à découvert et/ou criblé de dettes – l’un d’eux, Adama C., logeant même avec sa famille dans un hôtel des Emirats alors qu’il ne perçoit aucun revenu –, la procureure déclare que la bande « a créé à l’endroit de Paul Pogba une situation de dépendance financière ».
« On a cessé d’entendre qu’ils n’avaient pas de mobile, je pense qu’il y a méprise, s’exclame-t-elle. Ils ont observé leur ami devenir millionnaire et couper les ponts avec eux pour la première fois de sa vie. » « Cette cassure dans les relations financières a été le terreau des infractions pour lesquelles vous êtes ciblés », leur assène-t-elle, les yeux dans les yeux. Depuis son fauteuil, la Présidente aussi les scrute longuement, comme pour décortiquer la moindre réaction sur leurs visages.
Opposant à la version donnée par Paul Pogba lors de ses différentes auditions devant les policiers celles, « fluctuantes », de ses ex-amis d’enfance, les deux procureures ont tenté de prouver que le traquenard du 19 mars 2022 n’avait rien d’une réunion amicale et que chacun, mis à part Mathias Pogba, avait joué un rôle bien précis pour attirer le footballeur dans leur filet. Et celles-ci de lister les multiples réunions préalables et les (très) nombreux échanges de messages entre les cinq individus dans le but d’organiser le piège.
« Le 7 mars, il y a une première réunion entre cinq prévenus (Machikour K., Roushdane K., Mamadou M., Boubacar C. et Adama C.), ils sont tous là. Le 10 mars, on note des échanges intenses entre Adama C. et Mamamadou, avec neuf vocaux, ils disent qu’ils vont contacter les ‘frérots’ (Roushdane et Machikour K.), énumère la magistrate. Au matin du 19 mars, tout est prêt, tout a été minutieusement préparé. »
Un scénario cousu de fil blanc
Pour le parquet, le fait que trois de cinq accusés pour séquestration soient sortis sans broncher de l’appartement de Montévrain, quelques minutes avant l’arrivée des deux braqueurs masqués, ne prouve en rien leur innocence. Au contraire. « Si tout le monde avait été présent dans la pièce à ce moment-là, peut-être M. Paul Pogba aurait-il tenté de faire jouer le nombre face aux deux hommes cagoulés et armés », avance une procureure, avant de décerner aux trois restés dehors le rôle de « guetteurs, tout simplement ».
Quant à la présence de Roushdane K., cerveau présumé de l’opération commando, elles la justifient par son rôle de « grand frère », celui à qui on n’ose pas s’opposer, et dont le CV judiciaire, lui qui a déjà passé quinze ans de sa vie derrière les barreaux pour tentative de meurtre et autres agressions en tous genres, le rend plus apte à embaucher des braqueurs professionnels.
« C’était indispensable de recruter des hommes armés pour que Paul soit persuadé que ses amis n’ont rien à voir avec ça », pose l’une des magistrates. « Qui savait que Paul Pogba serait dans cet appartement ?, s’interroge l’autre. Personne d’autre que les cinq prévenus. C’est un des cinq prévenus qui a donné l’adresse aux agresseurs. C’est un des cinq prévenus qui a donné le code aux agresseurs. Roushdane l’explique lui-même. Il a donné les codes d’accès à des connaissances. C’est nécessairement par Roushdane K. que ces deux individus ont été recrutés. »
Mathias Pogba, second rôle avéré
« Pendant cinq mois et demi, les prévenus ont coordonné leurs actions. Les pressions ont été continues, polymorphes et indirectes », enchaînent-elles, faisant la liste des nombreuses visites faites dans les semaines ayant suivi l’agression à Paul Pogba, le 13 juillet au centre d’entraînement de la Juve, mais aussi à sa maman, Yeo Moriba, une première fois à son domicile de Santeny dans le Val-de-Marne, une seconde dans un hôtel de Nice où elle est descendue courant juillet.
C’est à ce moment-là que Mathias Pogba entre en scène. Ce frère qu’elles décrivent comme rancunier en se basant sur des notes anciennes enregistrées dans son iPhone à partir de 2017, dans lesquelles Mathias Pogba avait listé un certain nombre de récriminations à l’égard de Paul.
En voici un extrait : « « Nos relations étaient assez bien depuis 2015, mais elles ont commencé à se dégrader du fait de l’influence de ses agents. Il avait promis de s’occuper de la famille, de prendre soin d’eux, de leur acheter des maisons, de financer leur business. Mais bien sûr, ce fut la désillusion. Ce que vous devez comprendre ici, c’est le niveau immense d’ingratitude de mon frère. »
« On ne peut être à la fois marionnette et architecte »
Si elles précisent bien que « le projet délictuel est déjà construit quand Mathias Pogba le rejoint, pour autant il savait que le but du groupe était de prendre les 13 millions d’euros à Paul, qu’il y avait volonté de nuire. Mathias n’est pas passif, il prend des initiatives, il suggère des déplacements (à Turin, chez la mère) et quand il rencontre la réticence de son petit frère, il étend les pressions à l’entourage familial, comme à la mère (Yeo Moriba) ».
Seul à plaider en faveur de son client, mercredi, avec celui de Machikour K. (les quatre autres ont lieu ce jeudi, à partir de 13h30), Me Mbeko Tabula s’insurge qu’on puisse se baser sur de banales histoires de ressentiments d’un frère envers l’autre pour prêter à Mathias Pogba une quelconque volonté de celui-ci de participer à l’extorsion de son cadet.
« On ne peut pas être à la fois la marionnette et l’architecte du projet, c’est soit l’un, soit l’autre », argue-t-il, avant que la présidente ne mette fin aux argumentaires et suspende la séance. Alors que Mathias Pogba encourt jusqu’à un an de prison avec exécution de la peine à son domicile, avec le port d’un bracelet électronique, les cinq autres prévenus encourent des peines allant de deux à huit ans de prison ferme.