France

Télétravail : Faire son fayot en étant souvent en présentiel, un argument pour être augmenté ?

Lorsque les accords de l’entreprise de George, qui bosse dans la banque, lui ont permis de faire de deux à trois jours de télétravail par semaine, le trentenaire n’a pas hésité une seconde. Ce sera seulement deux jours. Certaines semaines, par pur excès de zèle, il vient même quatre jours sur cinq. Et avec le sourire s’il vous plaît. Il estime « moins bien travailler à la maison, aimer sortir de chez lui, voir du monde »… Et si, en cette période d’entretien de fin d’année, ce présentiel XXL lui apportait enfin l’augmentation dont il rêve ?

Depuis des siècles, le présentéisme forcené façon « Je finis à 18h30 plutôt que 18h00 » ont toujours été mis en avant par les salariés. Séverine Loureiro, psychologue du travail et directrice générale du Lab RH, acquiesce : « Les employés qui arrivent très tôt et partent très tard sont souvent mieux vus par les supérieurs hiérarchiques. » Le monde du travail est aussi celui du paraître.

Un quart des managers défavorables au télétravail

Alors si le présentéisme marche, pourquoi pas l’excès de présentiel ? « On est un peu dans une zone grise, encore plus au niveau d’une demande d’augmentation », poursuit la directrice. « Si l’entreprise survalorise à fond le présentiel, le salarié peut jouer cette carte. S’il voit au contraire que son manager s’en fiche, ça ne sert à rien d’appuyer dessus. »

Marie Delattre, ex-DRH et désormais créatrice de contenus à leur égard, concède : « Cela peut assurément marcher auprès de certains chefs, vu que le télétravail est souvent mal vu par les dirigeants. » Selon une étude de KPMG, 83 % des dirigeants français prévoient un retour total au bureau dans les trois ans, contre 60 % en 2023. Une autre étude, cette fois de Bodet Software en 2021, indiquait que seulement la moitié des managers se montrait favorable au télétravail, quand 25 % se disaient carrément défavorables.

Un argument ou un but contre son camp ?

Pour la vidéaste, si ce plan peut donc fonctionner, « ce serait quand même se tirer une belle balle dans le pied pour l’employé. Cela reviendrait à sous-entendre que oui, le télétravail ce n’est pas vraiment du boulot. Et ça, pour le bien commun des cadres, et à moindre échelle pour l’appréciation des collègues de son équipe, c’est une mauvaise croyance à diffuser ».

Que George soit ou non un parjure, Aminata, DRH dans une entreprise de consulting, croit peu en ses chances de succès avec un tel argumentaire : « Les demandes d’augmentation doivent reposer sur des critères les plus objectifs possibles, donc avec de la performance chiffrée ». Or, quoique en pensent certains patrons, « rien n’indique que le présentiel augmente la productivité ou la performance. Ça ne peut donc pas être un critère. »

Mettre en avant la productivité plus que le présentiel

Et si vraiment, votre productivité s’envole en présentiel, « c’est cette dernière qu’il faudra mettre en avant, plus que le fait d’être sur site », invite Aminata. Même si, là encore, « cela sous-entend que pendant vos jours en télétravail, vous êtes moins productif ». A vos risques et périls.

Mais George a d’autres arguments à faire valoir. « C’est un effort que je fais : du temps de trajet, le prix des transports… » Cela mérite bien une récompense, non ? Caroline Diard, professeure associée au département droit des affaires et RH de TBS Education et membre de l’Observatoire du Télétravail, contre-attaque : « Théoriquement, ces frais sont déjà en partie pris en compte par l’entreprise, par exemple le paiement de 50 % du prix des transports en commun. Tout comme le télétravail a un coût – électricité notamment – lui aussi souvent pris en compte. » La sociologue élargit : « Le télétravail est aujourd’hui considéré dans le monde de l’entreprise comme un élément de rétribution et une récompense, en plus d’être une attente forte de la part des salariés. »

Les accords d’entreprise sont déjà là pour ça, vous savez

Mais alors, si le télétravail est déjà une rétribution, il ne peut être en plus un argument pour être augmenté. Dans la même logique, renoncer de vous-même à une « récompense » de votre entreprise n’est pas un motif d’augmentation. Pas plus que vous ne pouvez avoir une promotion parce que vous n’avez pas touché à vos chèques-cadeaux de Noël. L’entretien reste ceci dit un « très bon moyen de rediscuter des modalités du télétravail », poursuit la sociologue.

Notre dossier sur le télétravail

Prenons maintenant l’inverse de George. Voici donc Arthur, comète Halley que vous voyez au bureau une fois tous les cent ans. Ce dernier abuse des jours de télétravail et dépasse souvent la limite autorisée. Peut-il se voir, lui, refuser une augmentation sous ce prétexte ? « S’il respecte le nombre de jours, il ne peut être sanctionné, précise Amimata. Au contraire, s’il ne le fait pas, il peut avoir une sanction car il ne respecte pas l’accord signé avec sa boîte. Mais c’est en dehors de la question d’une augmentation, ou même des entretiens de fin d’année. »