Comment la 3D a aussi permis de ressusciter Notre-Dame de Paris
Promesses tenues ! Après cinq ans de travaux et l’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019, l’édifice rouvre aux fidèles et au public le 7 novembre 2024. On a beaucoup parlé et rendu hommage aux Compagnons, ces centaines d’ouvriers et encadrants qui ont œuvré sans relâche sur le chantier. Moins évoqué l’apport des technologies numériques qui furent pour beaucoup la clé de voûte de leur travail. 20 Minutes a interrogé Nicolas Mangon, vice-président de la stratégie architecture ingénierie et construction de fabricant de logiciels Autodesk, présent dès la première heure.
Quelle est la vocation d’Autodesk ?
Autodesk est une société américaine basée à San Francisco, qui existe depuis quarante-deux ans. Nous développons des logiciels pour trois industries différentes. Tout d’abord celle de l’architecture, de l’ingénierie et de la construction. Puis pour celles de l’industrie manufacturière où nous sommes amenés à développer des vélos avec Decathlon, des tracteurs agricoles, ou des pièces pour alléger certaines parties des avions Airbus. Celles enfin des films, comme Avatar, et jeux vidéo qui créent des effets spéciaux avec nos logiciels.
Aurait-il été possible de reconstruire Notre-Dame sans vos logiciels ?
Tout aurait été possible, sans doute. Là ou notre apport a, j’imagine, été précieux, c’est sur le gain de temps. L’objectif d’achever les travaux en 2024 n’aurait peut-être pas été atteint.
Quelle a été la base de travail pour le chantier de reconstruction ?
Il n’existait pour Notre-Dame aucun dessin, aucun plan de référence. Étonnamment, il n’y avait pas eu non plus de travail de documentation sur sa conception, sa structure. Seulement quelques croquis par-ci par-là. Pour reproduire la cathédrale à l’identique, il fallait savoir après l’incendie ce que « l’identique » était…
Par chance, le Ministère de la culture, qui est propriétaire de l’édifice, avait missionné quelques années avant le sinistre la société Art Graphique et Patrimoine qui utilise nos logiciels pour documenter Notre-Dame en 3D.
Ce travail avait été réalisé à l’aide de stations laser nommées théodolites. Placées en d’innombrables endroits autour du bâtiment, avec une portée jusqu’à 30 mètres environ, elles avaient effectué des scanners à l’aide de milliards de points, que l’on nomme « nuages de points ». Une fois insérés dans nos logiciels, ces relevés s’étaient alors transformés en reconstitutions 3D que l’on peut manipuler, animer, un peu comme une photo à 360°.
Des scans avant le feu, mais aussi après…
Après la catastrophe, Philippe Villeneuve, l’architecte des Monuments historiques à la tête du chantier de restauration de la cathédrale, nous a redemandé d’effectuer un scan des décombres.
Le but était cette fois de cartographier l’étendue des dégâts. Dans un premier temps pour savoir dans le cadre de l’enquête où étaient tombées les choses. Mais aussi, lorsque le problème de la stabilité des arches est apparu, pour déterminer la nature exacte des difficultés auxquels il fallait faire face. Et savoir comment les résoudre.
Quel a été votre apport ?
Au début c’était panique à bord ! Mais cette phase était essentielle pour communiquer avec les équipes qui allaient essayer de stabiliser l’édifice. Sans cette technologie pour concevoir une stratégie de stabilisation, cela aurait été beaucoup plus compliqué. Des initiatives auraient sans doute été prises, au risque d’accidents, d’effondrements.
Ensuite, plein de dessins ont été réalisés à partir de nos nuages de points. Nous avons pu modéliser des objets « intelligents » (à manipuler sur ordinateur), comme les murs, les piliers… et réaliser une maquette numérique complète de la cathédrale. Cela a été capital pour tous les corps de métiers impliqués. Car grâce à cette maquette, il devenait alors possible de modéliser chaque brique, chaque mur, de couper, d’associer, de déterminer les masses…
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On imagine que la reconstruction de la Flèche d’Eugène Viollet-le-Duc a bénéficié de votre expertise…
À partir de son modèle 3D, deux choses ont été possibles. D’abord, séparer virtuellement tous les éléments de la construction de la Flèche pour qu’ensuite ils puissent être assemblés, comme avec un plan de montage Ikea. Par ailleurs, nous avons été à même de simuler numériquement sa prise au vent et de déterminer sa résistance nécessaire en simulant des tempêtes, celles qui arrivent tous les 10 ans, 50 ans…
Comment vos logiciels ont-ils influencé la lumière désormais omniprésente dans l’édifice ?
Nos logiciels ont permis de travailler tous les jeux de lumière afin de mettre en valeur l’éclat de la cathédrale de jour comme de nuit : savoir où intégrer des éclairages, avec quelle intensité, quelles ombres, savoir si l’on voulait une lumière directe ou diffuse. Et ce, sans avoir besoin d’aller sur le chantier. Tout a pu être préparé virtuellement, notamment pendant le Covid. Autodesk a amené Notre-Dame sur les écrans d’ordinateurs de ceux qui ont aussi œuvré pour ce chantier depuis leur bureau !
Il se dit que tout cela ne vous a rien rapporté…
Outre une importante donation financière faite par Autodesk après l’incendie, nous avons entièrement valorisé notre participation sous forme de mécénat. Par ailleurs, nous avons effectué une donation de notre logiciel à des centaines d’entreprises impliquées. Ainsi, chaque ouvrier pouvait si besoin, directement depuis son smartphone, accéder à n’importe quelle zone de la cathédrale numérisée.
Notre patrimoine matériel peut-il aujourd’hui se passer de ces technologies ?
Le numérique permet de préserver la mémoire. Avec les combats en Syrie, ou en Ukraine, beaucoup de bâtiments et monuments ont été scannés. Sans ce travail, impossible de recréer, refaire le moment venu. C’est important de capturer numériquement le patrimoine mondial. C’est la mémoire des hommes dont il est question.