Pourquoi « La Cage aux Folles » version 2025 ne peut être qu’« éminemment politique »
Qu’est-ce que cela veut dire de remettre La Cage aux Folles à l’affiche aujourd’hui ? C’est la question que l’on peut se poser à l’annonce de la programmation, pour décembre 2025, sur la scène du Théâtre du Châtelet, de l’adaptation de la comédie musicale de Broadway, elle-même inspirée de la pièce de Jean Poiret.
La réponse revêt autant de faces, toutes aussi légitimes, qu’une boule à facette disco. Depuis sa création, en 1973, au Théâtre du Palais Royal à Paris, et avec son adaptation au cinéma, réalisée par Édouard Molinaro en 1978 (5.4 millions d’entrées, seul Midnight Express a fait mieux au box-office français cette année-là), La Cage aux Folles dispose d’un statut culte. Elle est, pour beaucoup, une œuvre marquante du patrimoine comique français.
« Un film qui se moque d’un couple d’hommes. Qu’y a-t-il de si drôle ? »
Pour d’autres, et notamment une partie du public gay, elle est un ramassis caricatural, considéré avec défiance. Dès le départ, elle a eu ses détracteurs. L’activiste gay Alain Burosse, n’avait ainsi pas hésité à renverser le contenu d’une poubelle sur la tête de Jean Poiret, comme le rappelait le documentaire Merci Zaza ! La folle histoire de « La Cage aux folles » diffusé l’an passé sur Paris Première.
Au dos de son dernier livre autobiographique, Tous les silences ne font pas le même bruit, paru cet automne, l’auteur, poète et médecin Baptiste Beaulieu, écrit : « Tu es un garçon de 8 ans. Un dimanche soir, en famille, tu regardes un film qui se moque d’un couple d’hommes. Qu’y a-t-il de si drôle ? » Le film en question, c’est La Cage aux folles. Baptiste Beaulieu, 39 ans aujourd’hui, raconte dans un des chapitres de « Où vont les larmes quand elles sèchent » à quel point le visionnage de cette comédie l’a marqué et affecté. Il voit ses proches rire aux éclats. Lui, qui sait qu’il aime les garçons, est désarçonné. Il lance « Oh, c’est dégoûtant », en espérant que ses parents le rassurent et lui disent que deux hommes ensemble n’a rien de répugnant. Mais ils ne répondent rien et cela meurtrit l’enfant. A un point tel que, devenu adulte, il en a gardé un souvenir intact.
Un côté « progressiste »
Si l’on adopte un autre point de vue, en replaçant La Cage aux Folles dans la France des années 1970, on peut y trouver un côté révolutionnaire. L’homosexualité était alors depuis 1960 – et l’est restée jusqu’au début des années 1980 – considérée comme un « fléau social », au même titre que l’alcoolisme, la toxicomanie ou la tuberculose. Dans Merci Zaza ! , Alain Burosse considérait, avec le recul, que l’intrigue écrite par Jean Poiret avait « un côté « progressiste », mais seulement entre guillemets, car il faut voir qu’il n’y avait rien d’autre à l’époque, on était dans une culture homosexuelle de néant. »
La pièce est apparue à un moment où le militantisme homo a opéré une mue. Arcadie, la première association homosexuelle française, créée en 1954, misait sur la respectabilité afin que la société accepte les personnes non-hétérosexuelles. Mai-68 et les émeutes du Stonewall aux Etats-Unis, événement fondateur pour le mouvement LGBT+ aux Etats-Unis, ont changé la donne. Le 10 mars 1971, des activistes gays et des lesbiennes du Mouvement de libération des femmes (MLF), ont perturbé en direct l’émission de Ménie Grégoire sur RTL dont le thème ce jour-là était : « L’homosexualité, ce douloureux problème ». Le Fhar (Front homosexuel d’action révolutionnaire) est né à ce moment-là, appelant à concevoir l’identité homosexuelle comme une identité politique.
« Ode à la diversité »
Il serait exagéré d’avancer que La Cage au Folles de Jean Poiret fait preuve de militantisme, mais il n’en demeure pas moins qu’elle met en scène un couple d’homme et parle directement d’homoparentalité. C’est le point de départ de l’histoire : Albin et son compagnon Renato s’apprêtent à rencontrer les parents d’Andréa, la fille que leur fils Laurent est sur le point d’épouser. Ce que les mémoires ont tendance à oublier, c’est que le futur beau-père du fiston est un député conservateur. Et la pièce se moque de ce personnage réactionnaire, incarné par Michel Galabru, qui finira… travesti en drag-queen pour échapper aux journalistes qui l’attendent devant La Cage aux Folles – l’intrigue se déroule dans l’appartement jouxtant cette boîte de nuit.
« C’est ultramoderne », estimait il y a sept ans, auprès de 20 Minutes, Didier Roth-Bettoni. L’auteur de L’Homosexualité au cinéma (éditions La Musardine) parlait alors du film : « Cette comédie-là est le premier long métrage qui installe l’idée du couple homosexuel, de deux hommes qui sont ensemble depuis longtemps, qui ont un enfant. Il saluait au passage la performance de Michel Serrault : « Il transcende son personnage de Zaza Napoli, qui assume tout et ne s’excuse de rien. La réussite tient beaucoup à son génie d’acteur. D’ailleurs, quand Didier Bourdon et Christian Clavier ont repris la pièce, ça fonctionnait moins bien… »
Tout dépend donc de ce que l’on raconte, mais aussi de comment on le raconte. Et La Cage aux Folles qui s’installera au Théâtre du Châtelet en a bien conscience. Du moins à en juger par la note d’intention sur le site de l’établissement rappelant que le spectacle sera une adaptation du livret des Etats-uniens Jerry Herman et Harvey Fierstein, « deux défenseurs des droits LGBTQI+ » qui, en 1983, ont adapté la pièce française en comédie musicale à l’américaine, en faisant « une ode à la diversité ».
« Il est temps d’ouvrir le placard »
Ce que spectateurs et spectatrices verront dans un an n’aura rien à voir avec les caricatures de l’homosexualité. La présentation du spectacle insiste sur le fait que celui-ci ne sera pas « enfermé dans les clichés véhiculés par le théâtre ou par le cinéma ». Cette nouvelle production « traduite et mise en scène par Olivier Py, réinscrit l’œuvre dans son contexte : le cabaret ».
Et d’insister : « A la scène, Zaza chante et danse, mais à la ville, l’artiste pose la question de l’homoparentalité et déclare l’amour inconditionnel du parent pour l’enfant, par-delà les assignations de genre. » Un propos qui était déjà d’actualité il y a quarante ans et qui le demeure à l’heure où les paniques morales au sujet des drag-queens mais aussi des personnes trans sont particulièrement vives.
« La Cage aux folles reste une œuvre éminemment politique, affirme la note d’intention. C’est cette dimension qu’explore Olivier Py, à l’heure où la question des droits LGBTQI+ est remise en cause, partout dans le monde. » Autrement dit, celles et ceux qui s’attendent à rire des homosexuels en seront pour leur frais. Il s’agira de rire avec eux.
« Il est temps d’ouvrir le placard », clame le Théâtre du Châtelet. Une responsabilité qui incombe à Laurent Lafitte qui incarnera Albin et son alter ego de cabaret, Zaza Napoli.