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Bordeaux : Elle « n’était pas en état de consentir à un acte sexuel »… Cinq rugbymen jugés pour un viol collectif

EDIT du 2 décembre 2024 : Le procès des cinq rugbymen poursuivis après le viol d’une étudiante bordelaise, en mars 2017, devait se tenir en juin devant la cour d’Assises de la Gironde. Il a été renvoyé puisque l’un des trois principaux accusés a été victime d’un accident de voiture qui ne lui permettait pas d’être jugé. Le procès s’ouvre six mois après et devrait se tenir du 2 au 13 décembre.

C’est un procès particulièrement sordide qui s’ouvre ce lundi devant les assises de la Gironde et un huis clos au moins partiel pourrait être demandé par la partie civile. Trois anciens rugbymen du FC Grenoble, âgés alors de 23 à 27 ans, y sont renvoyés pour viol en réunion après la plainte d’une étudiante, âgée de 21 ans au moment des faits, qui remontent à la nuit du 11 au 12 mars 2017. Deux autres joueurs seront aussi jugés à cette occasion, pour non-assistance à personne en danger puisqu’ils ont été spectateurs d’au moins une partie des scènes, sans y mettre un terme.

Les débats vont se poursuivre jusqu’au 28 juin pour tenter d’éclaircir ce qui s’est passé cette nuit-là, après la défaite du FCG contre l’UBB (Union Bordeaux Bègles) et quels rôles y ont joué les cinq jeunes internationaux de rugby. Soirée débridée entre adultes consentants ou abus d’une jeune femme rendue hébétée par l’alcool ? Les versions vont s’affronter à l’audience.

Quels sont les faits ?

Ce 11 mars, la plaignante et deux amies qui l’accompagnent rencontrent des joueurs du FCG dans un pub du centre-ville. Ils boivent beaucoup et la soirée se poursuit tardivement en discothèque, sur les quais. La jeune femme de 21 ans prend ensuite, vers 4 heures du matin, un taxi avec le rugbyman Denis Coulson, l’un des trois accusés, pour se rendre dans un hôtel de Mérignac où l’équipe est hébergée.

Après une fellation réalisée dans le taxi, le joueur a une première relation sexuelle avec elle dans la salle de bains de sa chambre, qu’il partage avec un autre joueur. Par la suite, deux autres joueurs ont une relation avec elle et l’un d’entre eux reconnaît l’usage d’une banane, d’une bouteille et de béquilles lors d’actes sexuels. Des traces ADN de la jeune femme ont été retrouvées sur les béquilles, qui appartenaient à Christopher Farrell, un autre membre du FCG, blessé pendant le match. Celui-ci est poursuivi pour non-assistance à personne en danger.

Après la plainte de la jeune femme, déposée dès le 12 mars, trois rugbymen, Denis Coulson, Loïck Jammes et Rory Grice, sont poursuivis pour avoir « par violence, contrainte, menace ou surprise, commis des actes de pénétration sexuelle, en l’espèce des fellations et pénétrations pénio-vaginales ou avec des objets sur la personne de la partie civile avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion », selon les éléments communiqués par le parquet général de la cour d’appel de Bordeaux.

Au cours de l’enquête, la jeune femme explique « ne pas avoir de souvenir entre le moment où elle avait bu de la vodka et dansé dans la discothèque, et le moment où elle avait repris conscience, allongée nue sur un lit, entourée de plusieurs hommes en ayant l’impression d’être pénétrée par un objet métallique », rapporte le parquet général.

Que nous apprennent les vidéos au cœur de l’enquête ?

Les trois accusés reconnaissent avoir eu des rapports sexuels avec la plaignante mais pour eux, ils étaient consentis. La victime aurait même été très entreprenante vis-à-vis d’eux. Et pour en apporter la preuve, Denis Coulson va fournir une vidéo tournée pour immortaliser ses ébats, à lui et Loïck Jammes, qui le rejoint dans sa chambre.

Problème : les deux bords n’interprètent pas du tout les images de la même façon. « Elle fait des bruits, des gémissements, elle participe aux gestes cette jeune fille, estime maître Corinne Dreyfus Schmidt, l’avocate de Denis Coulson. Le psychiatre dit qu’elle était en pilote automatique alors oui peut-être mais pour eux, à partir du moment où elle participait, c’est qu’elle était consentante. » Loïck Jammes, qui est celui qui use de plusieurs objets pendant l’acte, assure qu’elle était « contente et faisait des bruits sexuels ».

« Sur la vidéo on ne voit pas une personne consentante, rétorque Anne Cadiot-Feidt, l’avocate de la victime. Elle se réveille avec des hommes nus autour d’elle et elle ne sait pas où elle est. » Des clients de l’hôtel confirment la détresse de la jeune femme à sa sortie de la chambre, vers 7 heures du matin. Ils entendent ses pleurs et elle s’écroule devant la réceptionniste, qui appelle un taxi. Auprès du chauffeur, elle confie aussi, en panique, qu’elle a été violée et appelle sans attendre sa mère et ses amies. Elle parle alors d’une agression qui implique cinq hommes, dont l’un avec des béquilles.

Une autre vidéo a été tournée par la vidéosurveillance de l’hôtel et montre l’arrivée de la jeune femme en taxi. On voit qu’elle a énormément de mal à se déplacer et qu’à deux reprises, elle tente de remonter dans le taxi mais qu’elle en est empêchée par Denis Coulson, qui tente même de la porter à un moment. Le veilleur de nuit confirme qu’elle lui paraît « endormie et sonnée » à sa descente du taxi.

Le renvoi devant les assises s’appuie sur « les témoignages recueillis et l’analyse des vidéos de l’hôtel [qui] démontraient sans aucune ambiguïté que, compte tenu de son état d’ébriété extrêmement avancée, la partie civile n’était pas en état de consentir à un acte sexuel. »

Comment expliquer l’amnésie de la victime ?

La jeune femme raconte un black-out complet après sa consommation d’alcool, entre le moment où elle quitte la discothèque et celui où elle est réveillée par la douleur sur ce lit, entouré d’hommes. Son taux d’alcool a été estimé entre 2,3 et 3 grammes par litre de sang, alors qu’elle pèse une soixantaine de kilos. S’ils ont aussi beaucoup bu, les trois joueurs pèsent, eux, environ 100 kg chacun.

Quand elle est confrontée à la scène filmée dans la chambre d’hôtel par Denis Coulson, elle est horrifiée et n’a pas de souvenirs. Elle assure aux enquêteurs qu’elle n’avait jamais entretenu auparavant ce genre de relations, impliquant plusieurs partenaires.

L’expert psychiatre Roland Coutanceau évoque dans ce dossier une « amnésie lacunaire clinique permettant au sujet de garder la capacité d’une action mais en réponse à une stimulation… avec une logique réflexe ou mécanique ». En clair, hébétée, elle est trop ivre pour dire non aux injonctions des jeunes hommes.

Pour la partie civile, sa cliente a été réduite à l’état d’objet et il n’était pas possible de ne pas s’en rendre compte. Eux ne titubent pas et ont davantage l’habitude de boire, fait-elle valoir. « Ce sont des prédateurs, il n’y a pas de dimension de séduction dans leur comportement, analyse maître Cadiot-Feidt. Dans ce dossier, on instrumentalise et on souille le corps d’un autre être humain. » Après les faits, elle rappelle qu’ils avaient lancé un groupe WhatsApp pour accorder leurs violons.

Et quand elle reprend ses esprits, la jeune femme part précipitamment de l’hôtel. Au cours des investigations, l’état de choc décrit par les témoins semble « incompatible avec la version des accusés ». Si les trois jeunes hommes se disent étonnés par ce départ, Loïck Jammes reconnaît au cours de la procédure avoir « un peu manqué de respect à la jeune femme », en précisant qu’il n’a pas eu conscience de son niveau d’alcoolisation, et Denis Coulson concède que « tout ce qui s’est passé dans la chambre n’était pas correct. »

Se replonger dans ces faits atroces va être très compliqué pour la jeune femme, qui a 28 ans aujourd’hui. Son conseil la décrit comme « broyée de l’intérieur » par cette affaire mais elle attend aussi beaucoup du procès, qui se tient sept ans après les faits.