« Ils préfèrent payer »… L’État encore condamné pour ne pas avoir protégé Karine violée quand elle était enfant
Elle avait dû attendre vingt et un ans pour voir l’homme qui l’avait violé pendant des années être condamné à trente ans de prison. Ce jour-là, l’avocat général de la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine avait présenté ses excuses au nom du ministère de la Justice, estimant que ses services avaient manqué de clairvoyance en ne protégeant pas suffisamment Karine Jambu quand elle était enfant. Sur son banc en bois, la toute jeune femme qu’elle était pouvait enfin entamer une reconstruction après des années à subir les horreurs.
Aujourd’hui, Karine a 27 ans et parle avec pudeur et retenue de ce qu’elle a vécu. Adoptée par sa tante, la jeune femme a vu son incroyable parcours être adapté à la télévision dans le téléfilm Signalements, qui a attiré plus de trois millions de téléspectateurs la semaine dernière sur France 2. Mais le combat de ces deux femmes ne s’est pas arrêté pour autant.
Mercredi soir, elles ont obtenu la condamnation de l’État pour « déni de justice » dans deux dossiers. Une troisième condamnation après celle pour « faute lourde » déjà obtenue en 2021. Mais combien de condamnations faudra-t-il obtenir pour que les choses changent réellement ?
Des affaires « il y en a tous les jours »
La situation budgétaire de notre pays est fragile, c’est de notoriété publique. Mais l’État français continue pourtant de piocher dans les caisses publiques pour solder ses contentieux. « Des affaires de dysfonctionnements et de défaillances, il y en a malheureusement tous les jours. Peut-être pas aussi conséquentes que l’histoire de Karine. Mais je n’ai pas l’impression que ça change ou que ça fasse peur à l’État. Ils préfèrent payer que de se remettre en question », dénonce Me Grégory Thuan, avocat de la famille Jambu.
Ce que Karine et sa tante reprochent à la justice et aux services sociaux, c’est la lenteur des procédures et le manque de sérieux avec lequel les nombreux signalements ont été traités. Car pendant toutes les années du calvaire vécu par Karine, sa famille était suivie, connue de la justice. Sa mère avait déjà été condamnée à de la prison ferme pour avoir tué son bébé, issu d’un viol, de multiples coups de couteau. « Karine aurait dû être placée dès sa naissance ! Les sages-femmes l’avaient déjà signalé », ne cesse de marteler sa tante, qui a multiplié les signalements au point d’être surnommée « la folle » ou « l’emmerdeuse ». La folle avait pourtant raison.
Des clopes et de l’alcool pour le silence
Sa nièce, violentée par ses parents, était violée sous leurs yeux par un homme qu’ils hébergeaient, alors qu’ils savaient qu’il avait déjà été condamné pour pédocriminalité. Un silence acheté par quelques paquets de cigarettes et de l’alcool. Pourtant, jamais Karine n’aura été placée. « C’est une victime qui a été complètement reniée par la justice. Elle a été abandonnée par les institutions. »
Dans ce dossier, les fautes se sont multipliées. Le médecin de famille, qui exerce toujours à Chantepie malgré de fausses déclarations, le juge d’instruction, toujours en poste dans une autre juridiction, les services du parquet de Rennes, les services sociaux, l’aide sociale à l’enfance… « Il y a des gens qui ont commis des fautes et contribué à la souffrance d’un enfant. Mais personne ne leur a demandé de compte. Ils ne sont jamais inquiétés ? Je ne demande pas à ce qu’ils aillent en prison, j’aimerais juste qu’on leur pose des questions », poursuit Me Thuan.
L’avocat, qui suit d’autres dossiers pour le compte de l’association Innocence en danger, aimerait que les « retours d’expérience » désormais pratiqués dans le cadre des féminicides ou des infanticides s’appliquent aussi pour les faits de pédocriminalité.